Joues froides, coeur chaud

Photo Jean-François Hamelin

La Guerre des tuques, le premier des fameux Contes pour tous produit par Rock Demers célèbre cette année ses 25 ans. Avis aux fans: sortez vos mitaines et votre pelle, les créateurs de cet incontournable classique du cinéma jeunesse vous envoient jouer dehors.


C’est l’histoire de Luc Chicoine et de Sophie Tremblay, de François «les lunettes» et des jumeaux Leroux, sans oublier Daniel Blanchette de Victoriaville. C’est aussi l’histoire de trois passionnés de cinéma et de châteaux de neige qui ont donné aux enfants de la Belle Province leur premier conte authentiquement québécois. C’est La Guerre des tuques, un film devenu culte pour plusieurs générations d’enfants. Retour sur le parcours incroyable d’une histoire rassembleuse à l’héritage bien vivant. 

«Il y a 27 ans, j’ai reçu un appel de Rock Demers me disant: j’ai un scénario qui s’appelle Le Château de neige et je voudrais que tu le réalises», se rappelle le cinéaste André Melançon. L’histoire a été écrite par Danyèle Patenaude et Roger Cantin. «J’ai vu des enfants qui se lançaient des balles de neige devant un château fort. Ça m’a rappelé les jeux de mon enfance. C’est de ces souvenirs qu’est né le film», raconte Roger Cantin. «Je voulais faire quelque chose de différent, d’éclaté, d’original. Rock Demers m’a approché parce qu’il voulait que cette histoire soit son premier Conte pour tous», ajoute le scénariste.

Au début des années 1980, les films québécois pour enfants se comptaient sur les doigts d’une main et étaient peu considérés. «Ça a été très ardu de financer ce film. Tout le projet a été très difficile», déplore André Melançon. Avec un maigre budget d’un million de dollars, le réalisateur a tout de même amorcé le tournage du film, qui ne s’est pas déroulé sans embûches. «Pour des raisons financières, il fallait tourner près de Montréal. On avait repéré un emplacement à Terrebonne. Une semaine avant le début du tournage, une vague de chaleur a fait fondre toute la neige», raconte le réalisateur. Le tournage se fait à Baie-Saint-Paul, dans la région de Charlevoix.

Pour construire la légendaire forteresse, on installe de gigantesques feuilles de contreplaqué qu’on recouvre par la suite d’épaisses couches de neige. En plus d’orchestrer une véritable bataille de neige, André Melançon doit composer avec une distribution presque entièrement constituée d’acteurs amateurs. «Les agences de casting n’existaient pas à l’époque. Pendant des semaines, nous avons fait le tour des écoles pour trouver les 18 personnages d’enfants du film», se remémore le réalisateur.

C’est seulement vers la fin du tournage que le titre final du classique est choisi. «Rock ne trouvait pas le titre original assez évocateur. J’ai lancé comme une boutade La Guerre des tuques, en référence à La Guerre des boutons, un film d’Yves Robert. Tout le monde l’a aimé, nous l’avons adopté», relate André Melançon, qui voit ce titre comme un hommage au cinéaste français.    

 

Indécrottable héritage

Tranchant avec les productions européennes et les classiques américains des studios Disney, La Guerre des tuques est le premier long-métrage pour enfants purement québécois. «Pour la première fois, les enfants voyaient des personnages qui parlaient comme eux, qui s’habillaient comme eux. Ils se sont identifiés, ils ont occupé ce film comme on occupe un territoire», explique André Melançon. Le scénariste du conte Roger Cantin, abonde dans le même sens. «Les enfants se sont approprié cette œuvre. C’est un des seuls films où l’on voit des enfants jouer dans la neige, tout simplement.» . Tout comme le personnage de François «les lunettes», concepteur du fort dans le film, Roger Cantin est très myope et a passé les hivers de son enfance à construire des forteresses dans la neige.

L’hiver, la complicité entre amis ainsi que l’émoi amoureux sont aussi représentés dans ce premier opus de la grande famille des Contes pour tous. «C’est un film avec une vision, qui ne prend pas les enfants pour des nonos. Mine de rien, on parle de la guerre, de l’affirmation de soi, de la mort», résume Joanne Blouin.

Car même si La Guerre des tuques se veut avant tout une célébration de l’hiver et de l’enfance, son dénouement est tragique. L’effondrement de la forteresse et la mort de Cléo, la chienne de Pierre, sous les débris en a choqué plusieurs. Pour la présidente du FIFEM, Joanne Blouin, la conclusion dramatique du récit est inédite. «C’est l’un des seuls films pour enfants où l’animal meurt.»

Lors du tournage, le décès était un sujet chaud. «J’avais l’impression qu’il était important que l’effondrement provoque la mort du chien. Nous avons beaucoup hésité et réfléchi. À la dernière minute, on a décidé de le faire», raconte André Melançon. «Il fallait qu’il se passe quelque chose de dramatique, de tragique. On voulait passer un message», explique Roger Cantin.

La mort de Cléo serait-elle une leçon pour ces apprentis guerriers? Le scénariste se défend bien d’avoir écrit un conte moralisateur. «Je voulais que l’on retienne l’événement. C’est un film pacifiste, même s’il porte sur la guerre». Pour André Melançon, un film est avant tout porteur de sens «On se permet souvent d’être condescendant dans un film pour enfants, alors que faire un film c’est avant tout raconter une histoire.»

 

Fêter en grand

Vingt-cinq ans après sa sortie en salle, l’engouement pour La Guerre des tuques n’aura pas fondu comme neige au soleil. À ce jour, il demeure le film canadien le plus vendu et distribué de tous les temps. «Je ne m’attendais pas à ce que l’intérêt pour ce film persiste et qu’il traverse les générations», avoue candidement le réalisateur de ce classique. «Les Contes pour tous ont accompagné toute une génération d’enfants. Ces jeunes sont à présent de jeunes parents qui veulent initier leurs enfants à leurs coups de cœur», explique la présidente directrice générale du Festival international de films pour enfants de Montréal (FIFEM), Joanne Blouin.

Pour célébrer le quart de siècle de La Guerre des tuques, une ribambelle d’événements sont prévus pour faire jouer dehors petits et grands guerriers. Selon Lorraine Duhamel des Productions La Fête, souligner l’anniversaire du premier des 21 Contes pour tous est essentiel. «C’est presque un anniversaire de mariage! L’histoire d’amour entre les spectateurs et le film dure encore après 25 ans», rigole celle qui seconde depuis  longtemps Rock Demers.  Pour fêter en famille, les Productions la Fête demandent les idées des fans. «Un espace Facebook est dédié aux célébrations. Nous invitons tout le monde à soumettre leurs suggestions», explique Lorraine Duhamel.  Un documentaire sur les coulisses du film culte est également en préparation aux Productions La Fête.

Plusieurs activités seront prévues à la grandeur de la province et la rumeur court qu’une grande reconstitution avec les comédiens originaux du long métrage pourrait avoir lieu dans Charlevoix. Le 5 mars, lors du Festival de film pour enfants, les fans pourront assister, joues froides et cœur chaud, à une projection en plein air du film. En plus des célébrations, la plupart des fans espèrent encore une suite aux aventures hivernales de leurs héros.

La vingtaine bien entamée, La Guerre des tuques a-t-elle bien vieilli? Roger Cantin répond par l’affirmative «Je trouve le film particulièrement intéressant maintenant, plus qu’à l’époque». André Melançon est plus critique. «Je ne referais pas La Guerre des tuques comme il y a 25 ans. Toutefois, il a raisonnablement bien vieilli», avoue le réalisateur.  


L’UQAM monte aux barricades 
Louis Weber-Houde, instigateur de la première reconstitution de La Guerre des tuques, a pu mesurer l’ampleur de l’engouement pour son film fétiche. Lancé à la blague par l’étudiant de l’UQAM et ses amis, sa bataille de boules de neige a rassemblé plus de 300 personnes au Parc Jeanne-Mance, au pied du Mont-Royal le 25 janvier. «La Guerre des tuques est vraiment un film culte. Je ne connais personne qui ne l’a pas vu. C’est vraiment un film culte, il a aussi un grand effet rassembleur» explique l’étudiant, qui se dit surpris de la popularité de son événement. Il se promet bien de récidiver l’hiver prochain.


 De César à Cléopâtre

Peu de fans le savent, mais Cléo, la chienne de Pierre, devait être à l’origine un chien appelé César. À son arrivée sur le plateau de tournage, l’animal incarnant l’attachant Saint-Bernard s’est avéré être une immense femelle. «Elle s’appelait Lucy et venait d’accoucher. Dans le script original, le chien de Pierre est un mâle, alors nous avons dû le changer. Lorsqu’il a fallu choisir un nouveau nom, l’un des enfants a proposé de l’appeler Cléopâtre au lieu de César», se souvient André Melançon.

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