Effets thérapeutiques des évènements grandeur nature
Votre voisin sort de chez lui déguisé en Gandalf? Ne vous inquiétez pas, jouer au chevalier en cote de maille ou à la princesse en détresse les samedis après-midi présente des vertus insoupçonnées.
Décrocheur et solitaire, Karl St-Jacques a donné un nouveau sens à sa vie depuis qu’il revêt une grande cape noire pour devenir Ashkenoze, un elfe arrogant, impulsif et autoritaire. «Mon implication dans les grandeurs nature a été un déclic. J’ai rencontré des gens, j’ai développé mon côté social et j’ai gagné de la confiance en moi parce que ce que je faisais était apprécié et valorisé au sein d’un groupe», confesse-t-il.
Souvent la cible de moqueries, les simulations grandeur nature du monde médiéval peuvent s’avérer bénéfiques pour le bien-être des participants. Le fait d’incarner un personnage pendant un évènement qui peut s’étendre sur quelques jours enlève des inhibitions et contribue à l’amélioration de l’expression orale et de la socialisation d’une personne. «Plus jeune, j’étais le petit gars renfermé sur lui-même qui restait seul dans son sous-sol à jouer à des jeux vidéos», témoigne Karl St-Jacques. Aujourd’hui, après dix ans de participation dans les grandeurs nature, il travaille à son compte comme informaticien et possède un bon cercle d’amis.
Chaque jeu grandeur nature comprend ses propres règles et mise sur la créativité des participants. Les reproductions se déroulent généralement sur des sites réservés à cet effet, à l’intérieur ou en plein air. Un monde parallèle est créé avec sa propre géopolitique, son histoire et surtout, ses personnages. Les participants modèlent leur rôle en choisissant une race, une classe et des traits de personnalité. On peut ainsi incarner un elfe, un forgeron, un alchimiste; être loyal, traitre ou crapuleux. Ces personnages évoluent dans le temps. Ils ont même parfois l’occasion de s’exprimer dans des forums de discussion en ligne, entre les rencontres officielles.
Un autre joueur, James Roy, apprécie le détachement de son quotidien que lui procure la reconstitution du temps des troubadours. «Quand je vais là-bas, je ne m’appelle plus James, j’ai un autre nom, j’agis comme une autre personne. En fait, je prends des vacances de qui je suis. J’oublie mon stress. Il n’y a pas de cool et de pas cool, on est tous égaux.»
Les bénéfices peuvent aller plus loin que la détente, croit Tommy Goulet, copropriétaire du domaine Terres de Bélénos, dans la région des Bois-Francs, où ont lieu jusqu’à quatre évènements grandeur nature par année. «J’ai reçu des messages d’encouragement de la part de personnes me disant que si Bélénos n’avait pas été là, ils auraient sûrement fait une grosse connerie», dit-il.
La professeure en psychologie sociale de l’Université de Montréal, Roxane de la Sablonnière, explique le côté positif des reconstitutions non seulement par le sentiment d’appartenance à un groupe qu’elles procurent, mais aussi par la possibilité d’incarner une identité clairement balisée. «Les études démontrent que le sentiment de bien-être des individus augmente lorsque leur identité est claire et définie. Lorsque l’on joue un rôle, on a justement la possibilité de réfléchir à l’identité incarnée et de la délimiter.» Elle suggère que le sentiment de bien-être ainsi créé par le jeu de rôle se généralise par la suite dans la vie quotidienne.
James Roy souligne justement le pouvoir des participants sur l’image qu’ils projettent dans le cadre des grandeurs nature. «Dans la vie, on ne choisit pas notre image, mais là on est capable de le faire.» Cette possibilité de se camoufler sous un déguisement fascine l’autre copropriétaire des Terres de Bélénos, Sarah Lamontagne. «On se retrouve de 600 à 800 personnes déguisées sur un même site, on discute avec tout le monde, on joue et on se rend compte après coup qu’un punk s’est amusé comme un fou avec un rappeur, alors que ces deux personnes ne se seraient jamais adressé la parole en temps normal. Les gens se mélangent, ça crée une ouverture d’esprit.»
En plus des bienfaits psychologiques et sociaux, l’implication dans les reconstitutions médiévales permet d’acquérir des connaissances techniques dont les apprentissages se sont évaporés avec le temps. Sarah Lamontagne a ainsi appris à travailler le cuir pour des costumes et des décors. «J’ai eu des débouchés grâce à l’expérimentation que j’ai faite dans les grandeurs nature. Le travail du fer, du cuir et du latex ne s’enseignent plus à l’école», rapporte celle qui a été approchée par le Cirque du Soleil pour sa capacité à manier le cuir.
Épée à double tranchant?
Les grandeurs nature sont en proie à de nombreux préjugés. Le risque de se détacher de la réalité au profit du monde virtuel est notamment décrié. Les propriétaires des Terres de Bélénos se disent conscients des effets pervers envisageables, telle une dépendance aux jeux de rôle ou un surattachement au personnage incarné. «Nous sommes tout à fait au courant que quelques personnes accordent trop d’importance à Bélénos», précise Tommy Goulet. Pour éviter les problèmes, les organisateurs se sentent obligés de faire de la prévention. «Nous nous faisons un devoir de dire à chaque activité que Bélénos est un jeu, pas une vie. La très grande majorité de nos joueurs le comprennent.»
La spécialiste en santé mentale Caroline Lafond confirme que les dangers propres aux jeux de rôle relèvent surtout du mythe. «C’est comme toute passion. Les excès ne sont jamais positifs. Mais en vingt ans de carrière en santé mentale, je n’ai jamais entendu de cas de trouble de personnalité lié aux jeux de rôle.» Le directeur de la Maison des jeunes de Boucherville, Bernard Tayor, qui organise Pendragon, un évènement grandeur nature destiné aux adolescents, attribue l’idée du danger des jeux de rôle à la désinformation et au sensationnalisme. «La majorité des gens qui participent à Pendragon en retirent du positif.»
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