C’est un ami de longue date qui nous a présentés. Quand j’ai vu la bande arriver, toute de rose vêtue, je me suis dit qu’avec ces hurluberlus, ça serait une histoire d’un soir amicale: agréable, mais sans lendemain. Aujourd’hui, je ressens cruellement le manque de ces amis dévoués, qui aimaient pourtant se traiter de «truie» à tout propos.
Ce quintette, c’était le parfait équilibre des genres. Il y avait Ella, tout d’abord, la geekette toute menue aux lunettes carrées. Quatre pieds deux pouces de hargne autoritaire. Fan de documentaires animaliers et de manga, fille surdouée d’un Chrétien ultra pratiquant, c’est elle qui disciplinait la bande. À l’opposé, Claude, la costaude bourrue, tenait le rôle de la nihiliste cachant sa sensibilité sous trois tonnes d’injures bien senties. Venait ensuite Frédé, la garçonne rockeuse, qui préférait grattouiller sa guitare plutôt que de se trouver un vrai boulot. Pour équilibrer le tout, ne manquaient plus que Juan, le séducteur adepte de la mode, bisexuel et fier de l’être, et Fern, Européen de l’Est candide et jovial.
Une bande dépareillée au possible et pourtant, une rencontre marquante. Dans les derniers mois, nos contacts se sont toutefois faits de plus en plus rares; Frédé a pris ses distances, Juan aussi. Et en août, le drame: cette bande de copains qui me régalaient de leurs aventures impossibles annonçaient leur rupture définitive. C’était bien, merci pour tout, on garde contact…
À la fin d’une série télévisée, d’un livre – même pas pour Harry Potter, foi de sorcière! – ou d’un film, bien des amateurs souffrent de ce que l’on pourrait appeler le «deuil» du groupie. C’est ce que les fans du magnifique blogue bédé français Chicou-Chicou, moi la première, ont vécu en août dernier, lorsque le collectif d’auteurs a décidé de mettre fin à son aventure web.
Sorte de feuilleton improvisé à dix mains, renouvelé presque quotidiennement et parfois plusieurs fois par jour, le blogue d’Ella, Claude, Frédé, Juan et Fern s’est vite hissé en tête de liste des carnets dessinés les plus lus de la blogosphère. Pendant près de deux ans, les auteurs se sont relayés pour alimenter les aventures rocambolesques des Chicous, sur des thèmes allant du western spaghetti et du film de kung-fu au quotidien fictif des cinq copains dans leur petite ville de Château Gonthier.
Alors que les blogues autobiographiques – parfois nombrilistes – se multiplient sur la Toile, le phénomène Chicou-Chicou a eu l’effet d’une brise d’air frais. Ses auteurs sont demeurés anonymes jusqu’au bout, ne cédant pas à la popularité croissante du site et alimentant leur aura de mystère. Seule la parution la semaine dernière d’une brique de 448 pages recensant les meilleurs moments des Chicous a permis de les identifier. Gilles Roussel, alias Boulet (Ella) – c’était lui, l’ami de longue date dont le blogue m’avait menée aux Chicous – Aude Picault (Claude), Domitille Collardey (Frédé), Lisa Mandel (Juan) et Erwann Surcouff (Fern), tous illustrateurs ou bédéistes reconnus, ne seront donc sortis du placard qu’en ultime recours.
Cachés derrière leurs personnages, les auteurs se sont permis de sortir de leurs styles graphiques respectifs sans se préoccuper de leur publication éventuelle. Plusieurs planches publiées sur le site des Chicous frisent ainsi le sublime, toutes en demi-teintes de rose, noir et blanc. Une œuvre attachante et surtout démocratique, puisqu’offerte sur le support le plus accessible qui soit: Internet. Et si les fans finis peuvent maintenant se procurer le recueil, l’ensemble des planches demeurera accessible aux nostalgiques sur le site du défunt collectif.
Peu résiliente, j’en suis pour ma part encore au stade du deuil où je pleure roulée en boule en maudissant les Chicous d’avoir mis fin à cette belle aventure. Mais je cherche déjà le nouveau coup de foudre bédéesque qui viendra me faire oublier les potes de Château-Gonthier. Bédéphile cherche blogue génial, pour relation durable…
Ariane Aubin
culture.campus@uqam.ca
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