Campagne étudiante contre la présence du privé en éducation
Les syndicalistes de combat sont de retour. Cet automne et cet hiver, l’Association pour une solidarité étudiante compte mener une campagne musclée contre la présence du privé en éducation. L’organisation combattra l’entreprise sur tous les fronts: les conseils d’administration, les cours, les cafétérias, et ce, jusque dans les chiottes.
Le 19 novembre dernier, plus de 200 personnes ont manifesté dans les rues de Montréal à l’occasion du lancement de la campagne de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) contre le privé en éducation. Armés de leurs pancartes anti-capitalisme, les syndicalistes de combat ont réaffirmé que les compagnies n’ont rien à faire dans les institutions d’enseignement.
«On ne croit pas à la philanthropie, affirme le secrétaire aux relations internes de l’ASSÉ, Éloï Bureau. Si les entreprises veulent vraiment contribuer, qu’elles commencent par payer leurs impôts au lieu d’avoir recours aux paradis fiscaux.» Selon le militant, l’influence du privé se divise en deux catégories. Dans sa forme la plus évidente, elle se manifeste dans les publicités, ainsi que dans les services alimentaires gérés par des multinationales. Dans sa forme plus subtile, elle est incarnée par la présence de membres externes sur les conseils d’administration (CA).
Si l’ASSÉ a lancé une campagne contre le privé cet automne, c’est justement parce que la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Michelle Courchesne, a récemment déposé un projet de loi sur la gouvernance des universités qui vise notamment à augmenter le nombre de sièges accordés aux externes. S’il est mort au feuilleton avec le déclenchement des élections provinciales, rien n’exclut un retour du projet de loi si les libéraux sont à nouveau portés au pouvoir.
Tout comme l’ASSÉ, le professeur de la TÉLUQ spécialisé en gouvernance sociopolitique et économique, Alain Dupuis, s’inquiète de l’augmentation des membres indépendants sur les CA. «Penser que l’on peut améliorer la gouvernance en augmentant le nombre d’externes, c’est illusoire. On s’inspire des grandes entreprises en bourse. Le gouvernement dit que ce sont des règles de saine gouvernance et il veut les appliquer partout. Pourtant ce modèle n’est pas vraiment adéquat pour des organisations complexes comme les universités et les hôpitaux.»
Malgré sa réticence envers les modèles de gouvernance inspirés par les entreprises, Alain Dupuis n’a pas l’impression que le privé met en danger les universités. Selon lui, l’argent investi par les compagnies n’est pas utilisé pour le budget de fonctionnement, mais pour des projets spéciaux. L’Université du Québec en Outaouais a ainsi reçu 100 000 dollars de la part d’un promoteur immobilier de la région pour financer un cours de culture entrepreneuriale. «Les universités peuvent toutefois perdre la capacité d’initiative dans le choix de domaines moins en demande auprès des entreprises, mais qui peuvent être porteurs d’avenir, prévient-il. Mais pour l’instant, les universités sont encore largement autonomes pour décider du contenu des cours et des programmes. Les départements de littérature, de danse et de philosophie sont encore financés.»
Une influence indirecte
Lorsque l’aéronautique est devenue un secteur d’avenir, les universités ont créé des programmes de recherche et ont bénéficié d’importants fonds du privé. «Les entreprises de ce domaine ont fait savoir qu’elles allaient avoir besoin d’employés. Les cégeps ont donc créé des cours», explique le spécialiste du financement et de la gouvernance des universités et professeur à la TÉLUQ, Michel Umbriaco. Ce type d’influence n’a rien de négatif selon lui, mais à moyen et à long terme, ces décisions peuvent donner une orientation à l’Université. «Le système universitaire québécois devrait embrasser l’ensemble des savoirs, mais l’accumulation sédimentaire de certains choix amène une hiérarchisation des facultés. Certaines d’entre elles, comme médecine, génie et administration, ont le haut du pavé et obtiennent beaucoup plus de financement. Ce n’est pas pour rien que l’UQAM a des difficultés avec la formule de financement du gouvernement. Elle n’a pas de département de médecine, ni de génie», explique-t-il.
L’influence du privé peut également être ressentie dans l’orientation des recherches, selon Michel Umbriaco. «Si je ne trouve pas de partenaire privé, je ne peux pas faire ma recherche.» Les chercheurs doivent s’entendre avec les entreprises qui financent les recherches puisque ces compagnies ont leurs propres priorités. Les professeurs mettent alors leurs cours à jour en fonction des recherches qu’ils réalisent pour le privé.
Ce genre d’influence indirecte peut parfois avoir des effets très concrets sur les universités. Au début des années 1980, les étudiants de l’École Polytechnique étaient très critiques par rapport à la politique environnementale d’Hydro-Québec. La création de cinq chaires de recherche par la société d’État a eu un impact direct sur leur esprit contestataire. «Le directeur général de l’époque m’a dit qu’on ne critique plus ouvertement Hydro-Québec depuis son investissement. La Polytechnique s’est donc faite pas mal plus discrète», explique Michel Umbriaco.
C’est le type de situation que critique l’ASSÉ dans sa campagne contre le privé en éducation. L’organisation syndicale prévoit plusieurs autres activités de dénonciation, dont une pétition sur son site Web. La campagne culminera le 26 mars prochain lors d’une manifestation à Montréal.
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