Sortir de la tradition

Choix d’études: les clivages persistent entre hommes et femmes

Il y a 30 ans, six étudiants à l’université sur dix étaient des hommes. Aujourd’hui, la proportion s’est inversée. Pourtant, la majorité des étudiants des deux sexes s’aventurent rarement hors des disciplines liées traditionnellement à leur genre. Montréal Campus a rencontré deux étudiants qui bravent les stéréotypes associés à leur champ d’études.

 

«Que les gens arrêtent de s’imaginer qu’être professeur au primaire c’est un truc de filles», s’exclame Thierry Lesage, qui a débuté cet automne un baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire à l’UQAM. Thierry compte parmi les 25% d’étudiants masculins de la Faculté des sciences de l’éducation. Comme dans de nombreux programmes universitaires, l’éducation est l’un des domaines d’études où le clivage entre les genres est frappant.

 

 

Julie Tousignant et Thierry Lesage ont tous deux choisi un programme d'études où leur genre est minoritaire - photo: Frédérique Ménard-Aubin

 

Le jeune homme, qui habite Boucherville, se destinait à travailler en informatique, un domaine largement occupé par des hommes. Après une expérience peu motivante dans une formation technique en programmation, Thierry a décidé de se réorienter en enseignement. Quand il a annoncé à ses professeurs d’informatique son départ, ceux-ci l’ont regretté, tout en l’encourageant à foncer puisque la «profession d’enseignant manque d’hommes».

 

Les professeurs de Thierry n’avaient pas tort. Selon le recensement canadien de 2001, 83% des enseignants au primaire sont des femmes. Alors que les jeunes garçons éprouvent généralement plus de difficulté de concentration et de discipline que leurs camarades de classe du sexe opposé, Thierry attache une grande importance à la présence d’enseignants masculins dans les écoles. «Beaucoup d’élèves proviennent de familles monoparentales où le père est absent. Les enfants ont autant besoin d’un modèle masculin que d’un modèle féminin. D’après mon expérience, je sais que certains garçons hésiteront avant de se confier à une enseignante, alors qu’ils se sentiront mieux de parler avec un homme.»

Choix de fille?

Au cours des années 1970, les combats féministes ont rendu accessible l’éducation supérieure aux nouvelles générations de filles. «Plus de femmes s’inscrivent à l’université depuis 30 ans, mais elles étudient majoritairement dans des sphères qu’elles occupaient déjà depuis longtemps, comme les sciences infirmières et l’éducation, souligne Pierre Doray, professeur au département de sociologie à l’UQAM. D’un autre côté, leurs choix traditionnels leur ont permis d’acquérir par l’éducation supérieure l’autonomie dont elles étaient privées auparavant.»

Julie Tousignant a rompu avec la tradition en étudiant dans un programme peu couru des filles. Alors que plusieurs femmes aspirent à devenir médecin, psychoéducatrice ou designer, Julie souhaite travailler comme programmeuse de jeux vidéo. Sa classe de 25 étudiants en imagerie et médias numériques à l’Université de Sherbrooke ne compte que quatre filles. En ce moment, elle poursuit un stage dans une compagnie de jeux vidéo au centre-ville de Montréal. L’expérience de Julie dans un univers masculin se déroule très bien. «Au début, les gars se sentaient mal à l’aise, ils ne savaient pas trop comment se comporter avec moi. Rapidement, ils ne me voyaient plus comme une fille, mais comme un membre du groupe.»

«En général, les filles font des choix rationnels, fait observer Pierre Doray. Elles n’iront pas là où il y a peu de filles parce qu’elles peuvent s’imaginer que ce sont des milieux machistes. Il suffit de regarder les domaines du génie et de l’informatique pour constater l’écart entre gars et filles.» Et pour cause, seulement 21,7% des étudiants à l’École Polytechnique de Montréal étaient des femmes à l’automne 2007. À l’UQAM, pour la même année, les filles représentaient moins de 40% des inscrits à la Faculté des sciences. «Les filles croient que certains milieux sont difficiles à percer, soutient Pierre Doray. Certaines vivent moins bien avec la concurrence présente dans des programmes à prédominance masculine.»

Julie Tousignant ne croit pas que les gars détiennent le monopole de l’esprit de rivalité. Au collégial, elle a étudié en sciences, lettres et arts, un programme réputé pour sa compétitivité et où les filles sont plus que majoritaires. «La compétition était très forte, bien que peu visible. Une fille ne disait jamais sa note à voix haute, mais elle cherchait à connaître celles de ses collègues pour s’assurer d’avoir obtenu la meilleure.»

 

Les avantages du sexe

Être minoritaire présente quelques avantages. «Dans ma classe nous sommes six gars pour 50 élèves. Je dois avouer que c’est assez agréable! Je me sens un peu chouchouté», rigole Thierry. Sur un ton plus sérieux, il explique que la prédominance des femmes dans le domaine de l’enseignement est telle qu’à l’embauche, un candidat masculin serait favorisé vis-à-vis une candidate de même qualification. Même son de cloche dans le domaine du jeu vidéo. «C’est faux de penser que les filles sont mises de côté. Au contraire, les gens de l’industrie veulent nous avoir dans leur compagnie. Pour réussir à percer le marché féminin, les entreprises ont besoin de femmes qui participeront au processus créatif.»

Bien que leur situation respective comporte certains avantages, Thierry et Julie ne se leurrent pas sur les difficultés qui les attendent en cours de route. «Dans mon futur métier, je devrai constamment être prudent lorsque viendra le temps d’aborder un enfant, mentionne Thierry. Beaucoup d’enseignants masculins n’osent même pas donner une tape dans le dos de l’enfant de peur d’être considéré comme un agresseur ou un pervers. Disons que je vais m’assurer que mes agissements ne soient pas interprétés à tort et à travers.» De son côté, Julie admet que les méthodes d’enseignement dans ses cours sont parfois mal adaptées à la gent féminine. «À quelques reprises, seules les quatre filles du cours ne comprenaient pas après les explications du professeur, alors que tous les gars avaient enregistré les notions abordées. Notre attitude face à l’apprentissage est différente. Tout de même, les professeurs cherchent à s’améliorer.»

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