Refusant de s’endetter pour se sortir du pétrin, des citoyens font un pied de nez aux avocats et assurent eux-mêmes leur défense en cour. Défaite et amertume les attendent bien souvent au détour.
Jacques Bouffard, ancien propriétaire d’un immeuble à logements dans Chaudière-Appalaches, ne mâche pas ses mots lorsque vient le temps de parler de son expérience devant le tribunal. «Je me suis fait traîner en cour par une de mes locataires qui exigeait une baisse de loyer considérable en invoquant que ses voisins faisaient tellement de bruit que cela minait sa qualité de vie.» Incapable de se résoudre à verser ses quelques économies à un avocat et non admissible à l’aide juridique, il a décidé d’assumer lui-même sa défense.
Une personne seule est admissible à l’aide juridique si elle empoche moins de 11 250$ par année. «Si elle gagne moins de 16 031$, elle y aura droit moyennant une contribution de sa part pouvant atteindre 800$», explique l’avocat à l’aide juridique et spécialiste en droit administratif, Jean-Louis Darveau.
Une personne qui travaille à temps plein au salaire minimum gagne 17 000$ par année, alors qu’un avocat privé propose des honoraires de plus de 200$ de l’heure. Selon le professeur de droit à l’UQAM Thierry Bourgoignie, l’accessibilité au système de justice est plus complexe et plus génératrice d’inégalités que jamais. «Les critères d’admissibilité à l’aide juridique sont demeurés les mêmes depuis plus d’une décennie, sans tenir compte de la hausse du coût de la vie. La tendance n’est vraiment pas à favoriser l’accès. »
Trop riches pour l’aide juridique, mais trop pauvres pour un avocat privé, certains sont donc tentés par l’autoreprésensation. Le ministère de la Justice du Canada relevait en mars dernier que plus de 49,2% des gens se représentent seuls à l’une ou l’autre de leurs comparutions. Soixante-dix-huit pourcent d’entre eux auraient été déclarés coupables, contre 69% des accusés représentés par l’aide juridique.
«Il est illusoire de penser se représenter seul adéquatement», affirme le vice-doyen de la faculté de science politique et de droit de l’UQAM, Jean-Pierre Villaggi. L’objection de la preuve, la convocation des témoins et la jurisprudence sont des procédures complexes qu’il serait très hasardeux de se risquer à entreprendre seul, estime ce dernier.
«Il est très malheureux de voir des gens se représenter seuls, parce qu’un certain détachement est nécessaire pour une bonne défense et qu’il faut laisser de côté son émotivité, ce qui est difficile à faire lorsque l’on se représente soi-même», note pour sa part le procureur et chargé de cours à l’UQAM, Denis Gallant.
Alors qu’il jugeait ses preuves en béton et son passage devant la juge une simple formalité, Jacques Bouffard a perdu sa cause. «J’ai perdu mon temps et toute confiance envers le système de justice», explique-t-il, visiblement amer de son expérience avec la justice.
«Ce qui m’a le plus choqué, c’est que j’ai appris par après que l’avocate de la partie adverse a déclaré que si j’avais eu un avocat, je l’aurais plantée tellement mes preuves étaient bonnes! Si c’était à refaire, c’est sûr que je prendrais un avocat ou alors j’accepterais ce que ma locataire demandait. À quoi bon gagner, si c’est pour verser des sommes impossibles à un avocat?»
De sa résidence de Québec, maître Marc Forest offre ses services d’avocat à moindres coûts aux internautes désireux de s’informer sur la sphère juridique. L’avocat croit à l’autoreprésentation dans des cas de droit civil, particulièrement si la personne est un bon orateur qui sait rassembler ses idées. Il pense cependant qu’une bonne partie du travail doit être abattu par un avocat. «Ça n’aide pas d’arriver en cour avec les mauvais articles de loi ou sans jurisprudence pour s’appuyer. Toutefois, bien que ce ne soit pas son rôle, le juge sert souvent de protecteur en faisant le contrepoids pour l’individu qui se présente seul contre un avocat.» à
Cette tolérance des magistrats envers les tenants de l’autoreprésentation n’est pas absolue, si l’on en croit Jean-Pierre Villaggi. «Si un individu n’invoque pas certains de ses droits en cour, le juge va faire avec. Il ne peut pas prendre en compte des éléments qui n’ont pas été soulevés.»
Vers une défense plus accessible
Le Barreau du Québec a récemment lancé une vaste campagne afin d’informer la population quant aux différentes avenues possibles pour régler un litige, lesquelles sont plus simples et moins dispendieuses que le tribunal. La justice participative, qui amalgame la médiation, la négociation et la conciliation, s’inscrit dans la volonté de certains organismes de trouver des solutions novatrices qui impliquent plus de communication directe entre les parties. Celles-ci n’ont alors pas à recourir à un avocat.
Le professeur Thierry Bourgoignie appelle toutefois à la prudence. Selon lui, la justice participative peut être une bonne pratique si elle est bien encadrée par des règles qui garantissent des juges neutres et que les coûts chargés ne sont pas excessifs.
À l’Association du Jeune Barreau de Montréal (AJBM), une soixantaine d’avocats s’appliquent à rendre la justice accessible et se relaient afin d’offrir des services gratuits de consultation pour toute la population. «On reçoit beaucoup de demandes, que ce soit pour préparer une cause devant la Cour des petites créances, la Régie du logement ou la Commission des relations de travail. Plusieurs s’y présentent afin de savoir s’ils ont une cause défendable entre les mains et ensuite, de quelle nature sont les procédures qui les attendent», explique la coordonnatrice aux activités et aux projets de l’AJBM, Geneviève Gagnon.
Me Darveau propose quant à lui l’embauche de stagiaires ou d’avocats débutants comme option intéressante à ceux qui n’auraient pas les moyens qu’exigent les grands cabinets.
Des innovations possibles
S’il ne semble pas y avoir de solution miracle pour faciliter l’accès à la justice pour l’instant, plusieurs experts offrent néanmoins certaines pistes de réflexion.
«Le monopole de la défense ne devrait pas être détenu par les avocats, indique Thierry Bourgoignie. Des juristes non inscrits au Barreau, voire des non-juristes, devraient avoir le droit de défendre. Dans certains cas, des organisations non gouvernementales pourraient, par exemple, être plus qualifiées pour représenter un individu. Elles sont en effet généralement plus calées que certains avocats dans leurs champs d’expertise.»
Me Villaggi suggère pour sa part un développement de tribunaux spécialisés pour certains domaines particuliers, comme les régimes d’assurance. «Des procédures simplifiées seraient plus accessibles et permettraient une justice à moindres frais. Il serait aussi primordial d’offrir une information sérieuse qui éclairerait les gens en leur disant s’ils ont un bon recours entre les mains ou s’ils perdent leur temps.»
Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur les problèmes d’accès au système de justice, un réinvestissement majeur dans le service d’aide juridique semble faire l’unanimité parmi les experts, quoique, tel que relevé par Jean-Louis Darveau, «les gens n’ayant pas de problème avec la justice ne seront pas intéressés à entendre parler d’investir dans l’aide juridique si c’est pour leur coûter plus cher d’impôts.»
En attendant, le système de justice perd de la crédibilité. Un sondage mené en 2007 par Léger Marketing révélait que seulement 52% de la population faisait confiance aux avocats. «J’ai appris que l’honnêteté, en cour, ça ne marche pas. C’est une lutte entre avocats, une question d’argent», conclue Jacques Bouffard.
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