Malgré la tenue à Montréal du Concours international d’orgue du Canada (CIOC) du 8 au 19 octobre, le seul événement de cette envergure en Amérique du Nord en 2008, ceux du Québec crient famine. La diminution des budgets paroissiaux met en danger ces instruments, dont la plupart reposent endormis au fond des églises.
«L’orgue est une forêt de tuyaux, certains très petits, d’autres très gros», raconte l’organiste de 80 ans, Gaston Arel. Il ouvre le panneau principal de son instrument et tout un monde se dévoile dans le sous-sol de sa maison du nord de Montréal. Le musicien retire un tuyau de taille moyenne. «C’est un tuyau à anche parce qu’il ressemble à un instrument comme la clarinette. Les plus gros sont des tuyaux à bouche..» À côté des trois claviers se trouvent les registres, des pistons aux inscriptions étranges. Grâce à eux, l’organiste peut passer d’une sonorité douce se rapprochant de la flûte à un son aussi puissant qu’un plein orchestre. La coordination de l’organiste étonne: il pianote, utilise ses pieds pour le clavier au sol, tourne les pages et change les registres entre les différents mouvements d’un morceau. Gaston Arel termine sa pièce et se retourne vers son interlocuteur. «Actuellement, la facture d’orgue, c’est-à-dire la fabrication de l’instrument, n’a jamais été aussi excellente, mais les églises ferment et ont de moins en moins de fonds pour acheter et entretenir les instruments», déplore-t-il.
Victimes de la baisse de budget des paroisses et de l’apparition de l’orgue électronique, les orgues traditionnels ont totalement disparu des petites villes des alentours de Saint-Hyacinthe, qui en abritait à l’origine plusieurs. «C’est une tendance qui a commencé dans les années 1960 et 1970. On disait que les anciens orgues n’étaient plus bons. On ne voulait plus de vieilles affaires», raconte le chanoine Gaston Giguère, curé de la cathédrale de Saint-Hyacinthe. «Il n’y avait pas beaucoup d’intérêt pour le patrimoine religieux à cette époque.»
L’orgue de cette cathédrale fait partie des quelques-uns à avoir bénéficié d’une protection patrimoniale, mais ça n’a pas toujours été le cas. De 1963 à 1978, il est resté muet, un orgue électronique ayant pris le relais. Il a été remis en fonction en 1978 et complètement restauré en 2006 au coût d’environ 450 000 dollars. Le Conseil du Patrimoine religieux du Québec a contribué à hauteur de 265 000$, le reste ayant été assumé par la paroisse. «Sans l’aide du gouvernement, il aurait été impossible de restaurer l’orgue. Même avec la subvention, il nous a fallu quêter. Dans notre cas, ce fut facile de recueillir les fonds parce que la population était sensibilisée», raconte le chanoine Giguère. L’orgue de Saint-Hyacinthe est actuellement le plus vieux en fonction au Québec. Il a été construit en 1885 par Casavant frères, la maison de facture d’orgue la plus importante de la province.
À Montréal, les trois quarts de ces imposants instruments sont signés Casavant frères. Parmi la cinquantaine d’orgues de la métropole, ceux de l’Église Saint-Jean-Baptiste de Montréal et de la Basilique Notre-Dame sont les plus reconnus.
L’orgue de l’église Très-Saint-Nom-de-Jésus dans l’est de Montréal, utilisé pour la dernière édition du festival Orgue et couleurs, est l’un des plus gros Casavant au Québec. Sa restauration s’est échelonnée sur 15 ans à cause d’un manque de fonds. En tout, près de 800 000$ ont été investis dans sa réfection. Toutefois, l’avenir de cet instrument à vent est incertain: la paroisse risque de fermer, victime d’une pauvreté endémique. «Il faut accorder l’orgue quelques fois par année, jouer régulièrement et remplacer les mécanismes brisés. C’est un véritable défi pour les églises», affirme le président du Concours international d’orgue du Canada, René Fréchette. «Malgré tout, il y a une collection d’orgues remarquable à Montréal et c’est pourquoi le concours a lieu dans la métropole».
Le Conseil du Patrimoine religieux alloue une fraction très modeste de son budget au comité d’orgues, explique l’organiste et membre de ce comité, Gaston Arel. «Souvent, il y a des problèmes beaucoup plus urgents dans certaines églises, comme les infrastructures. Si le toit coule dans l’orgue, on n’est pas plus avancés!.» Certains curés optent par ailleurs pour un orgue électronique à cause de la baisse de leurs budgets. Un mauvais calcul selon Gaston Arel, car il faut le changer souvent, comme un ordinateur. Il existe en Europe de très vieux orgues fonctionnels qui datent de l’époque du compositeur Jean-Sébastien Bach. Lorsqu’ils sont bien entretenus, ces instruments peuvent en effet durer des centaines d’années.
Une association qui fait mal
«Au Québec, on ne les retrouve que dans les églises. Nous n’avons pas de salle de concert avec des orgues, comme c’est le cas en Europe», affirme René Fréchette. À Montréal, le seul orgue fonctionnel à l’extérieur d’une église se trouve à la Salle Redpath de l’Université McGill.
L’orgue est très important dans la vie religieuse, selon le chanoine Gaston Giguère. L’instrument est utilisé pour les célébrations du dimanche, les funérailles et les mariages. L’organiste accompagne également les solistes et interprète de la musique profane. Des églises comme celle des Saint-Anges de Lachine offrent des concerts d’orgue chaque mois en plus des services liturgiques. «Pour l’Église protestante, il accompagne les croyants qui viennent chanter. Pour les catholiques, c’est différent parce qu’ils chantent très peu», explique Gaston Arel.
Comme au Québec, les orgues européens sont victimes de la baisse de fréquentation des églises. L’organiste belge Els Biesman, qui participe au Concours international d’orgue du Canada, a d’ailleurs dû s’exiler à Zurich en Suisse pour trouver un emploi. L’année dernière seulement, 13 églises ont fermé leurs portes dans la ville d’Amsterdam aux Pays-Bas, entraînant la destruction de leur instrument. En Russie et au Japon, la situation est moins problématique parce qu’ils ne sont pas dans les églises, explique Els Biesman. «L’orgue souffre de cette association. Pour écouter de la musique d’orgue, il faut aller à l’église et je comprends ceux qui ne veulent pas y aller. Ce que mon prêtre dit dans les messes, ce n’est pas intéressant. Si ce n’était pas de la musique et de mon emploi, je n’irais tout simplement pas à l’église», conclut-elle.
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