Une province divisée dans un Canada uni

«Il ne faut pas faire de procès d’intention à la suite de propos qui sont tenus dans le cadre d’une conférence de presse sur un sujet général.» Le Secrétaire d’État français chargé de la Francophonie, Alain Joyandet, tentait par ces paroles sibyllines de dégonfler la polémique qui a éclaté au Québec la fin de semaine dernière après que Nicolas Sarkozy, en rupture avec ses prédécesseurs, ait déclaré publiquement son attachement au maintien du Québec dans la Fédération canadienne. Au cours d’une conférence de presse, le président français a en effet déclaré que le Canada était l’un des alliés les plus précieux de la France et que si on lui demandait son avis, «le monde n’[aurait] pas besoin d’une division supplémentaire».

Les principaux ténors du mouvement souverainiste, dont les deux anciens premiers ministres Jacques Parizeau et Bernard Landry, ainsi que la chef du Parti québécois, Pauline Marois, ont réagi prestement à ces propos, certains pour les condamner, d’autres afin de les minimiser.

Un allié d’Ottawa

Nicolas Sarkozy est réputé avoir des sympathies fédéralistes. Son amitié de longue date avec l’influent homme d’affaires et bailleur de fonds du Parti libéral du Canada, Paul Desmarais, est ancienne et vécue au grand jour. Il partage de plus une affinité de pensée avec les leaders nord-américains actuels. Sans être aussi campé à droite que ses homologues américains et canadiens, le président français partage bon nombre des orientations politiques de Stephen Harper, qu’il s’agisse du durcissement des mesures pénales et judiciaires ou d’une vision économique dans laquelle l’État doit le plus possible s’effacer au profit de l’entreprenariat et de l’économie de marché.

Au-delà du passé et de la personnalité de Nicolas Sarkozy, les acteurs politiques qu’il a devant lui lorsqu’il est en déplacement au Canada sont en eux-mêmes à l’origine de la diminution de la bienveillance française envers le projet souverainiste. Vu les forces en présence aujourd’hui, il aurait été malavisé et contre-productif pour n’importe quel chef d’État français de se positionner en faveur de l’indépendance du Québec.

Lors de son bref séjour dans la Belle province, Nicolas Sarkozy a conclu une entente sur la mobilité de la main d’œuvre entre la France et le Québec. Il a négocié cette entente avec Jean Charest, le premier ministre québécois le plus fédéraliste des quarante dernières années. Le député de Sherbrooke est devenu plus revendicateur envers le gouvernement fédéral à mesure que son mandat avançait, mais c’est uniquement parce que les fondements du débat Québec-Ottawa ont grandement changé. Vu l’impossibilité de la tenue d’un troisième référendum avant longtemps, Jean Charest peut être plus exigeant envers le gouvernement fédéral sans se trahir. C’est de bonne guerre pour le premier ministre du Québec de demander plus pour sa province. D’ailleurs, elles ont toutes des doléances envers Ottawa. Et ces temps-ci, Terre-Neuve remporte la palme de la pugnacité dans les rapports fédéral-provincial, bien avant le Québec.

Nicolas Sarkozy a ensuite posé les jalons d’une longue série de négociations qui doivent mener, à terme, à la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Son homologue au cours de ces discussions était Stephen Harper, le premier ministre le plus décentralisateur depuis près d’une vingtaine d’années. Dans ses discours publics, Stephen Harper ne cesse de répéter que le Canada accommode et accommodera le Québec afin qu’il soit à l’aise au sein de la Fédération. Le chef conservateur peut faire valoir qu’il a libéré plusieurs champs fiscaux que les provinces auraient pu s’approprier afin d’être en mesure de payer leurs programmes sociaux et d’infrastructures. Il a reconnu la nation québécoise, quoique de façon timide, à la Chambre des communes. Stephen Harper respecte de plus la doctrine Gérin-Lajoie, selon laquelle le Québec peut intervenir dans ses champs de compétence à l’étranger.

Bien sûr, toutes ces initiatives sont puériles d’un point de vue souverainiste, mais dans les faits, le Québec jouit d’une liberté politique et juridique qui est sans égale pour un État non-souverain, et ce, en grande partie grâce au mouvement souverainiste. Toutefois, de l’extérieur, l’existence de ces subtils rapports de force n’est pas évidente. Surtout pas pour Nicolas Sarkozy, qui peut comparer la situation de la Belle province à celle des minorités nationales peuplant le territoire français…

Si d’aventure le président français souhaitait approfondir sa compréhension de la politique canadienne, il pourrait se pencher sur le phénomène du Bloc québécois qui, la semaine dernière, a encore raflé la majorité des sièges dévolus à la province à la Chambre des communes. Encore une fois, le Québec semble confortable au sein du Canda. Il a une solide députation pour représenter ses intérêts spécifiques, en plus de pouvoir s’installer au gouvernement quand ça lui plaît. Le premier ministre canadien fait d’ailleurs tout son possible pour inclure des représentants de la province dans les hautes sphères du pouvoir même si la députation conservatrice québécoise manque cruellement d’expérience et de compétences.

Convaincre les Québécois d’abord

Pour un homme d’État qui, à l’instar de Nicolas Sarkozy, a été récemment mêlé aux conflits qui ensanglantent la Serbie, le Liban, le Tchad et la Géorgie, il est difficile de considérer la cause de l’indépendance du Québec comme une priorité. L’opinion des étrangers ne devraient pas peser trop lourd sur la situation intérieure du Canada et le fait que les Québécois jouissent d’excellentes conditions de vie ne délégitime pas leur combat national. Il est toutefois rafraîchissant de sortir de la mentalité auto-justificatrice des souverainistes québécois sur les droits et le destin inéluctable du Québec. Il est bon aussi de se faire rappeler, même indirectement, qu’il est plutôt malaisé de refuser de sortir de la fédération et de profiter des avantages qu’elle procure, tout en menaçant de la quitter à la moindre occasion. De réaliser de temps en temps que si les souverainistes souhaitent que leurs discours sur la division du Canada cessent d’avoir une connotation stérile aux étrangers, il faudrait qu’ils commencent par convaincre les Québécois eux-mêmes de sa pertinence.

rédacteur.campus@uqam.ca


[m1]François,

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