Sanguinaires coteurs

Photo Antoine Rouleau

Qu’ils s’appellent Décadence ou Hostel, une vague terrifiante de films d’horreur extrême a quitté les États-Unis pour envahir l’Europe et le Québec. Présentant des scènes éprouvantes de torture et de violence gratuite, ces films perturbants sont accueillis sévèrement par la Régie du cinéma, au grand dam de leurs créateurs.


 Le film Martyrs, une co-production franco-canadienne hystérique et sanglante, a été jugé en mai dernier trop violent pour les Français de moins de 18 ans. La controverse entourant cette décision, inédite en France, se poursuivra-t-elle au Québec, où Martyrs a été présenté dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma (FNC)?

 «Aussitôt qu’un film est coté 18 ans et plus, il est mort commercialement. Aucune salle ne veut le présenter, la couverture médiatique est presque nulle», explique Julien Fonfrède, programmateur de Temps Φ, volet du FNC dans lequel figure Martyrs. C’est lui qui a sélectionné ce film d’horreur hautement déstabilisant qui risque fort de choquer le public québécois. «Au départ, je n’aime pas les films de ce genre. Mais il y a présentement toute une vague de films d’horreur en France. Ce qui m’a intéressé en Martyrs, c’est qu’on y sentait une véritable identité européenne.»

La vague dont parle Julien Fonfrède est le fait de jeunes réalisateurs français qui tentent d’insuffler, litres de sang à l’appui, un peu de vie à un cinéma français agonisant. À la recherche des sensations fortes abondant dans le cinéma américain ou japonais, ces cinéastes français s’appellent Alexandre Aja (Haute Tension), Alexandre Bustillo et Julien Maury (À l’intérieur), Xavier Gens (Frontière), ou encore Pascal Laugier (Martyrs). Ce qu’ils recherchent par-dessus tout, c’est de représenter une violence crue et gratuite, un sujet abordé jusqu’ici presque pudiquement par les caméras françaises.
Cette audace est applaudie par Julien Fonfrède. «Dans Martyrs, il y a cette volonté de déranger le spectateur. On baigne tout au long du film dans une violence gratuite qui sert à déstabiliser. C’est de plus en plus rare, les scènes d’horreur qui dérangent», souligne le programmateur.

 

La règle du jeu: choquer et encore choquer

Dans le monde rouge et noir du film d’horreur, la violence est un prérequis «Lorsqu’on fait un film gore, il faut respecter les règles du genre. On a dépassé la logique de faire peur. À chaque film, on se demande comment on peut choquer plus que le précédent», remarque Julien Fonfrède. Cette escalade de l’horreur sème dans son sillage des films comme Décadence, qui atteignent des sommets de popularité.

Les écrans québécois ne sont pas épargnés par cette vague sanglante. Diplômé au BAC en communications de l’UQAM, Martin Laroche a dû lui aussi réfléchir à l’usage de la violence lorsqu’il a tourné son premier long métrage, La logique du remords. Son film décrit la rencontre entre un pédophile acquitté pour le viol et le meurtre d’une fillette, et le père de celle-ci, bien décidé à se venger. Pendant près de 90 minutes, La logique du remords dépeint un tête-à-tête sordide où la victime devient l’agresseur. Après s’être retiré une partie du cerveau lors d’une opération improvisée, Marc entreprend de torturer l’assassin de sa fille afin de connaître la vérité sur ses actes. «La violence m’a servi à montrer jusqu’où le personnage était prêt à aller pour arriver à ses fins. Je voulais montrer le côté extrême de la vengeance», renchérit Martin Laroche.

Projeté cette année au Festival des Films du Monde et aux Rendez-Vous du cinéma québécois, La logique du remords a choqué le grand public. «Je ne m’attendais pas à ce que ça choque autant. Plusieurs personnes sont sorties de la salle dès la première scène violente. D’autres se sont évanouies.» S’il ne regrette pas l’usage de la violence dans son film, qu’il considère tout à fait justifié, Martin Laroche s’interroge sur la clarté de son message. «Certaines personnes m’ont dit qu’elles auraient pu faire la même chose que Marc (le personnage principal). Elles n’ont rien compris!»

Pour Jarrett Mann, le président du Festival SPASM, spécialisé en films de genre, la violence gratuite peut être un bon divertissement pour le public. «Ça dépend du film. Si la violence est gratuite et humoristique, alors c’est inoffensif. C’est clair que ce n’est pas réel.»

Julien Fonfrède pense pour sa part que la violence, justifiée ou non, doit faire réagir avant tout. «La violence doit déranger et non divertir. Plus c’est gratuit, plus c’est dérangeant. Martyrs joue beaucoup sur cette notion de gratuité. Ça crée un malaise chez le spectateur.» Face à la cote plutôt sévère obtenue par Martyrs, le programmateur de Temps Φ s’interroge. «Des films américains comme Décadence et Hostel sont cotés 16 ans et plus en France. Pourquoi pas Martyrs

 

Une cote parfaite


La controverse quant à la classification de ces films extrêmes pourrait bien se poursuivre au Québec. Les cotes des films d’horreur sont attribués par la Régie du cinéma du Québec selon des critères distincts. «Le film d’horreur est un film de genre. Entendre des cris dans la nuit, provoquer le suspense, les sursauts, montrer les tripes d’un personnage, tous ces éléments font partie du langage des films d’horreur», explique Jacinthe Boisvert, porte-parole de l’organisme.

Un film d’horreur débordant du cadre classique verra sa cote remonter rapidement «Une cote de 13 ans et plus peut alors passer à 16 ans et plus. Plus on dépasse les limites, plus on insécurise le spectateur, plus la cote sera élevée», explique Jacinthe Boisvert. Cette évaluation tient aussi compte de la présence de violence gratuite, ajoute-t-elle.

Entre le 1er avril 2007 et le 31 mars 2008, la Régie du cinéma du Québec a classé 32 films dans la catégorie 18 ans et plus. De ce nombre, seulement deux l’étaient pour cause de violence excessive, dont Hostel. Sur près de 500 longs métrages visionnés par la Régie, 22 ont reçus la cote 16 ans et plus et 146 s’adressent uniquement aux spectateurs de 13 ans ou plus.

 

La règle de l’exception

Toutefois, même les films d’horreurs les plus audacieux peuvent être projetés au grand écran sans passer le test de la Régie. «Les festivals ont une exemption de classement. Ce sont des vitrines pour promouvoir des films. Ces évènements sont éphémères, la classification est donc laissée à la discrétion des programmateurs de festivals», explique Jacinthe Boisvert.

Une exception profitable à plusieurs organisateurs, qui se servent de cette vitrine pour attirer les amateurs du genre. L’âge du public est rarement considéré par les responsables des festivals. Au festival SPASM, Jarrett Mann laisse ce choix aux festivaliers. «Il n’y a pas vraiment de contrôle quant à l’âge des spectateurs parce qu’il n’y a pas de problème. SPASM s’adresse surtout à un public entre 18 et 34 ans.»

Du côté du FNC, la décision est aussi laissée au public. «Je ne suis pas là pour interdire des choses», explique Julien Fonfrède. Selon ce dernier, les amateurs de ce genre de films, jeunes ou vieux, savent à quoi s’attendre. «L’existence même du cinéma d’horreur sert à confronter sa propre personne à la mort, la violence, la douleur. C’est un besoin humain», justifie le programmateur.

Peu importe l’avis des réalisateurs, c’est toujours la Régie qui tranche. Après avoir soumis son film à la classification de la Régie du cinéma du Québec, Martin Laroche se dit surpris du résultat: La logique du Remords est coté 13 ans et plus. Ce résultat encourage le cinéaste, qui s’attendait à recevoir la cote 16 ans et plus.

Quant à Martyrs, les artisans du film en ont appelé de la décision de la Commission de classification des œuvres cinématographiques et ont obtenu une cote de 16 ans et plus. Contrairement au scénario de Pascal Laugier, l’histoire se termine bien pour Martyrs en France, dont la sortie s’est passée sans anicroche le 3 septembre.

Au Québec, le suspense vient tout juste de commencer: associé à la compagnie de distribution Films Séville, Martyrs n’a pas encore reçu sa cote de la Régie du cinéma du Québec. Quoi qu’il en soit, les cinéphiles peuvent se considérer avertis. «Ce film inflige des images extrêmement éprouvantes exposant le supplice d’une jeune femme. Sa vision comme son interprétation requièrent des spectateurs préparés et distanciés», lit-on sur l’affiche placardée devant le cinéma Impérial.

 

Le festival SPASM se tient du 23 au 31 octobre.  www.spasm.ca 
La Logique du remords sera bientôt disponible en magasin.
 

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