Au moment de mettre sous presse, il reste encore six jours de campagne avant les élections fédérales du 14 octobre. Le vent ne devrait pas tourner de façon significative d’ici-là. Selon toute vraisemblance, le Parti conservateur devrait reprendre le pouvoir à Ottawa pour quelques années, la seule inconnue étant le statut majoritaire ou minoritaire du prochain gouvernement canadien. Peut-être est-ce dû à l’impression de quasi-certitude largement répandue quant au résultat de l’exercice, mais les discours des chefs des différents partis politiques fédéraux ont sonné profondément creux au cours de la présente campagne. Cette vacuité dans les communications des leaders politiques du pays s’est exprimée de deux manières distinctes.
Dans le cas de Stephen Harper, la dissimulation, parfois le mensonge, la suffisance dans le ton, l’infantilisation crasse de ses mises en scène médiatiques, bref l’ensemble de sa campagne s’est déroulé sous le signe du mépris envers l’intelligence des électeurs. Un mépris illustré par le populisme de stratégies de communication consistant à aller jouer avec un bébé dans la cuisine de ses parents afin d’annoncer des baisses d’impôts pour les familles ou se faire filmer jouant quelques notes de piano pour prouver qu’au fond, on n’a rien contre la culture. L’ironie est que les mises en scène de Stephen Harper sont souvent moins révoltantes que son véritable programme politique.
Les discours des trois autres chefs de grands partis sonnent creux pour une tout autre raison. Il ne s’agit pas de lacunes au niveau des idées, de leur justesse et de leur faisabilité, ou de problèmes de communication ou d’organisation politique. Leurs discours semblent décalés pour la simple raison qu’ils n’ont aucune chance de pouvoir être mis en application. Mis à part certains partisans convaincus du NPD et des libéraux, personne ne croit en leurs chances de prendre le pouvoir.
Une majorité mal représentée
La politique fédérale canadienne est bloquée depuis quelques années. Les électeurs centristes et progressistes sont morcelés et aucune volonté politique forte et partagée par une large majorité de Canadiens n’émerge de la vie publique. La vision du pays qui recueille l’appui de la majeure partie de la population est celle partagée par les trois partis d’opposition qui, si leurs votes respectifs étaient comptabilisés ensemble, seraient largement majoritaires à la Chambre des communes. Les préférences politiques des électeurs vont largement dans le sens d’un État interventionniste qui prend en charge de grands projets, comme la lutte aux changements climatiques, et qui protège, dans une certaine mesure, les plus faibles de la pauvreté et des nombreux problèmes qu’elle engendre.
La division du vote de centre-gauche est à cet égard une tragédie, car elle permet la prise du pouvoir par la minorité bigote, carnassière et intolérante du pays pour une période dont il est présentement difficile d’entrevoir la fin. Une alliance de l’argent, et de l’étroitesse d’esprit dirigera vraisemblablement le Canada pour plusieurs années.
Les effets pervers du militantisme progressiste
En 2006, Stephen Harper et ses troupes ont pris le pouvoir après avoir obtenu 40,3% des votes. Le taux de participation de cette élection avait été de 64,7%. Le Canada a donc pris le plus grand virage politique de son histoire contemporaine alors qu’il était dirigé par un gouvernement n’ayant obtenu l’appui que d’un peu plus de 26% des électeurs potentiels. Le résultat risque d’être semblable cette fois-ci.
Les raisons de cette impossibilité pour la majorité du pays d’obtenir une représentation politique décente trouve explication dans certains motifs sur lesquels il n’est pas possible de s’étendre ici. L’un d’entre eux vaut toutefois la peine d’être souligné: les citoyens progressistes s’engagent plus souvent dans des groupes militants liés à une thématique que dans les partis politiques à vocation généraliste. Les environnementalistes ne parlent alors que de réchauffement climatique, les pacifistes ne s’opposent qu’à la guerre en Afghanistan, les artistes ne dénoncent que les coupures dans quelques obscurs programmes de subventions. La liste pourrait s’allonger indéfiniment.
Cette division de la lutte pour une société progressiste en combats pour une cause unique nuit grandement à la réalisation de ce que certains auteurs appellent le «bien-commun». Les chefs des partis d’opposition sont, durant la présente campagne, porteurs d’un discours qui inclut des solutions aux différents défis que doit relever une société riche et moderne qui a à cœur la justice sociale et la prospérité pour le plus grand nombre. Leur message détonne dans une société dont l’organisation repose désormais sur les groupes d’intérêts.
Le choix de se battre pour une seule cause à la fois peut sembler efficace à court terme. Ce morcellement des forces du changement mène toutefois à une paralysie sociale. Tout le monde se retrouve figé dans sa propre chapelle et la vision des enjeux se rétrécit sans cesse. La possibilité d’action aussi.
La démocratie et la vie en société sont constituées de compromis, de tâtonnements, de solutions à mi-chemin… En espérant que ceux du 14 octobre ne laisseront pas trop de dégâts dans leur sillage.
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