Six minutes et quarante secondes

Selon la rumeur, le niveau créatif de Montréal ne serait pas à la hauteur des grands centres cosmopolites de la planète. Faux, répondent les amateurs des soirées créatives Pecha Kucha, qui se font une joie de la démentir, une diapositive à la fois.


Montréal, centre-ville, mercredi soir. L’angle des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine est aussi animé qu’une église en matinée. Une jeune femme et son chien sont assoupis à même le trottoir alors qu’un vieil homme aux pupilles dilatées demande des sous aux quelques passants. À première vue, Montréal n’a rien d’un grand centre effervescent. À quelque pas de là pourtant, la Société des arts technologiques de Montréal (SAT) regorge d’esprits créatifs qui refusent de faire un tel constat. Avec leur lumières tamisées, leur ambiance cozy et leurs discussions animées, les soirées Pecha Kucha y accueillent chaque deux mois des créateurs de toutes sortes qui veulent faire bouger les choses.

«J’étais dans une phase un peu cynique, en revenant de villes comme New York, Tokyo, San Francisco ou Londres», se souvient l’instigateur des soirées Pecha Kucha à Montréal, Boris Anthony. «J’ai grandi à Montréal, j’y ai toujours vécu et j’étais persuadé que c’est une ville cosmopolite, avant-gardiste et super connectée. Lorsque je suis revenu de mes voyages, je me suis dit que c’était complètement faux. À force de rencontrer des Montréalais et de leur parler, j’ai constaté qu’il y a des gens ici qui sont hyper-créatifs et intelligents. J’ai réalisé que sur la scène créative de Montréal, certains se disent: « On est peut-être un peu endormis, mais on veut être réveillés. On veut être ragaillardis. Il faut qu’on fasse quelque chose! » »

C’est dans le but d’offrir un espace de discussion aux créateurs montréalais que Boris Anthony a décidé d’importer le concept Pecha Kucha en juin 2007. Nées au Japon en 2003 de l’initiative de deux architectes de la firme londonienne Klein Dytham, les soirées Pecha Kucha font maintenant un tabac dans 138 villes du globe. De Paris à New York, en passant par Kuala Lumpur, tout grand centre cosmopolite digne de ce nom se doit maintenant d’avoir son Pecha Kucha. «Nous en sommes  à notre septième édition montréalaise. Nous en faisons une à chaque deux mois. Au commencement, nous étions environ une centaine dans la salle, nous sommes maintenant 500 ou 600», s’enorgueillit Boris Anthony.

 

Un format dynamique
Le concept de Pecha Kucha est simple. Chaque présentateur dispose de six minutes et quarante secondes pour présenter un projet. L’exposé doit être accompagné de vingt diapositives, qui sont changées automatiquement à chaque vingt secondes. «Ce format rend les exposés plus dynamiques et plus précis, les gens n’ont pas le temps de se lasser», explique Boris Anthony. Cette règle donne toutefois du fil à retordre aux exposants. La designer et professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM, Ying Gao, en sait quelque chose. «J’avais complètement sous-estimé cet aspect. Je n’étais pas du tout préparée à cela. En tant que professeure, je fais ça du matin au soir donner des exposés, sauf que j’ai oublié le fait que là, vraiment, j’ai un temps restreint, alors qu’en cours, je prends tout mon temps. Comme vous avez pu voir, à un certain moment, j’ai complètement abandonné, j’ai avoué que je ne pouvais pas le faire!»

Les soirées Pecha Kucha se déroulent dans une ambiance très bon-ami. Les créateurs de l’événement souhaitent que les gens puissent y discuter dans une ambiance d’ouverture. Kecha Pucha signifie d’ailleurs «le son des conversations» en japonais. «Les gens viennent ici pour s’inspirer, voir du monde, et s’amuser un peu, constate Ying Gao. Je ne crois pas que les gens viennent ici pour entendre des grandes pensées théoriques ou philosophiques.»

Les présentateurs des soirées Pecha Kucha ne viennent pas seulement du monde de la mode ou du design, mais d’une multitude d’autres milieux. «Pour moi, la cible, ce sont tous les gens créatifs. C’est vraiment grand et vaste!» explique Boris Anthony. Plusieurs participants ont été d’ailleurs surpris de voir une avocate figurer sur la liste des exposants. «Tina Piper représente Creative Commons, un programme qui propose une alternative au copyright. C’est vraiment pertinent pour le monde de la création», ajoute l’organisateur.

L’auditoire venu assister à la soirée répond avec beaucoup d’enthousiasme au concept du Pecha Kucha. «C’est super! Le concept du 20/20 rend les exposés hyper précis, les gens ne se perdent pas dans les détails techniques spécifiques à leur discipline», commente Alexandra McIntosh, une spectatrice ravie. «J’ai trouvé aussi très bien qu’il y ait des gens venant de disciplines aussi différentes. Je crois bien que je vais revenir!»

Le créateur de jeux vidéos Phil Fish est quant à lui déjà un grand fan de Pecha Kucha. «J’en suis à ma quatrième participation en tant qu’exposant, c’est presque ridicule à quel point je présente une fois sur deux… Je me suis promis que j’allais arrêter après aujourd’hui, ça devient un petit peu gênant», lance-t-il en riant. «Sinon, je n’ai manqué qu’une des sept soirées en tant que spectateur.» Phil Fish croit que Pecha Kucha est une belle preuve de l’effervescence de Montréal dans toutes les disciplines. «J’aime ça venir aux soirées juste pour réaliser à chaque deux mois comment je suis privilégié de vivre dans une ville comme Montréal, parce qu’il y en a des villes où il ne se passe rien, mais ici, c’est en pleine ébullition. C’est absolument fascinant tout ce qui se passe en ce moment!»

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