Il peint avec les loups

Photo: Simon Belleau

 

Les humains auraient-ils le monopole de l’art? Selon certains, d’autres mammifères, même s’ils préfèrent parfois manger les crayons avec lesquels ils dessinent, seraient également dotés de cette faculté créatrice. Alors que des sculptures sur bois réalisées par des castors sont présentées à McGill, la question est loin de faire l’unanimité.


Le professeur Henry Mintzberg de l’Université McGill s’est demandé ce qu’il avait frappé lors d’un trajet de canoé. «C’était un morceau de bois laissé là par les castors. J’aimais la forme et je l’ai apporté chez moi.»  Depuis ce jour, il a commencé son imposante collection de sculptures sur bois réalisées par des castors. Une partie de cette collection sera exposée au musée Redpath de McGill jusqu’au 30 octobre. «C’est artistique pour moi parce que je vois l’art dans ces sculptures, mais les castors ne sont pas au courant qu’ils sont des artistes. Une de mes amies n’approuve pas que je dise qu’ils font de l’art. Je lui réponds que c’est plutôt de l’artisanat!»

De l’autre côté de l’Atlantique, Bonhams, l’une des plus vieilles maisons d’enchères du monde, estimait la valeur de trois œuvres réalisées par un chimpanzé nommé Congo à environ 700 livres sterling. Lorsque le marteau a frappé son dernier coup le 20 juin 2005, c’était pourtant pour conclure une offre de 15 000 livres, soit 20 fois plus que l’estimation initiale.

Le succès de Congo a inspiré d’autres manifestations d’art animal. Koko, une guenon de 35 ans, pratique aussi la peinture. À l’instar des œuvres de Congo, celles de Koko sont plutôt floues et abstraites. Le tableau Bird, une œuvre censée représenter un oiseau, ressemble davantage à un assemblage de traits grossiers sur fond blanc.

 

Rires, indifférence et passion
Quand il ne fait pas rire, l’art animal laisse plutôt perplexe qu’admiratif. Au centre de la controverse se trouve la définition de l’art. L’animal peut-il prétendre au titre d’artiste, ou la notion d’art est-elle intrinsèquement liée à l’intention, au désir de créer?

«Aucune œuvre faite par un animal n’entrera dans mon musée tant que je serai conservatrice en chef», répond catégoriquement la directrice artistique du Musée d’art contemporain de Montréal, Paulette Gagnon. Selon elle, être conscient de l’acte créateur, c’est ce qui fait la différence entre l’art et ce qui n’en est pas. «Un chimpanzé va gribouiller si vous lui mettez un crayon dans la main, mais je n’appelle pas ça de l’art au sens où l’humain en fait. L’humain peut conceptualiser et décrire son travail, alors que l’animal en est incapable.»

On retrouve dans la littérature artistique des points de vue qui attribuent aux animaux la capacité de créer. Le professeur de l’Université de Tel-Aviv, Ben-Ami Scharfstein, défend ce qui lui semble une attitude plus instinctive que réfléchie dans son livre Prehuman Art: The Animal-Human Aesthetic Interface. «L’art humain comme nous le connaissons serait impossible si nous n’étions qu’intelligence, introspection ou pure conscience. Il serait également impossible de faire de l’art sans l’instinct, l’inconscient et l’intuitif.» Selon lui, les mammifères seraient capables d’éprouver des émotions et de faire preuve d’imagination. À partir de cette idée, des similitudes entre les modes d’expression des humains et de ces animaux permettent d’élargir le concept d’art à l’ensemble du règne animal.

Le professeur de sciences biologiques et spécialiste en comportement animal de l’UQAM Luc-Alain Giraldeau n’a pour sa part jamais rien observé qui laisse croire que les animaux seraient dotés d’une telle capacité. «Je ne peux pas imaginer que des animaux ne fassent pas des choses utilitaires. Même le chant des oiseaux, parfois fort beau, a une utilité, soit l’accouplement ou l’agression.» Même dans le cas des grands singes, capables d’utiliser le langage des signes, il serait impossible de savoir s’ils ont le désir et la conscience de créer. «Leur discours est tellement terre-à-terre. Il se limite à vouloir banane ou à jouer ballon. Ils ne pourraient pas avoir un discours pour expliquer ce qu’ils font.»

Certains contestataires ont utilisé le procédé de l’art animal pour dénoncer des formes trop abstraites de l’art contemporain. En laissant des escargots, des chats et des singes «réaliser» des oeuvres, ils ont voulu montrer que l’art contemporain n’était que fumisterie puisque des animaux pouvaient faire la même chose. Le paradoxe avec ce type de démonstration est que l’on peut trouver des qualités artistiques aux œuvres animales. «Si ça avait été un humain qui avait fait le tableau, j’aurais dit qu’il y a un bon choix de couleurs, que la composition du tableau est le fun et que les contrastes sont intéressants, remarque une étudiante en arts visuels de l’UQAM, Jessica Contant, après avoir évalué une œuvre peinte par le chimpanzé Congo. On peut trouver ça beau, mais est-ce que ça vaut 15 000 livres?» s’interroge-t-elle.

«Le concept d’art a besoin d’être placé dans son contexte historique. En d’autres termes, son essence n’existe pas, croit la professeure spécialisée en art moderne de l’Université de Montréal, Nicole Dubreuil. Il est ce qu’une société veut bien désigner comme tel. Savoir si ce que l’on voit est de l’art est une question que l’on peut se poser pour les animaux comme pour toutes les sociétés primitives, parce que certaines de ces sociétés n’ont pas la conscience de l’art. Toutefois, les arts primitifs n’ont pas la même valeur que l’art animal. Une lance de pygmée a une trace anthropologique et ces sociétés, contrairement aux animaux, avaient un accès au langage et à la symbolique.»

 

S’éduquer avec les animaux
Créatif ou pas, l’art animal peut servir à apprendre sur le milieu de vie de ces créateurs inhabituels, comme c’est le cas avec la collection de sculptures de Henry Mintzberg. Loin de prétendre qu’il s’agit d’œuvres, le musée Redpath propose de «regarder ces pièces avec un regard artistique, tout en évoquant les images de travail du castor.» Des fiches explicatives accompagnant les sculptures permettent d’en connaître plus sur l’habitat et le mode de vie de ce mammifère rongeur.

«C’est plutôt cute. Ce que les animaux peuvent produire et qui nous émerveille comme étant formellement intéressant n’empêchera personne de dormir, pense Nicole Dubreuil. L’important, c’est de savoir ce que l’on regarde; qu’un morceau de bois gossé par les dents d’un castor soit identifié comme tel.»

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