Les travailleurs immigrants contribuent plus au développement économique de leur pays d’origine que l’aide internationale. La Banque Mondiale estime que plus de 200 milliards de dollars ont été envoyés en 2007. Les effets de ces transferts d’argent demeurent méconnus.
Hugo, un mexicain, est travailleur agricole temporaire sur une ferme de Saint-Rémi-de-Napierville, à trente minutes au sud de Montréal. Toutes les deux semaines, il envoie de l’argent à sa famille demeurée au Mexique. L’aide d’Hugo est une source de revenu cruciale pour ses proches. «Ils l’utilisent afin d’acheter les produits nécessaires pour entretenir leur jardin et cultiver le maïs et les haricots», explique le jeune homme. Le Mexique a encaissé 18 milliards de dollars en provenance de ses émigrés en 2006, un revenu qui excède celui rapporté par le tourisme, selon les chiffres de l’analyste de Statistique Canada, René Houle. Le pays arrive au troisième rang de ceux qui reçoivent le plus d’argent de leurs expatriés, après l’Inde et la Chine.
Au Canada, ce sont surtout les travailleurs temporaires, des employés présents au pays pour le temps d’un engagement professionnel seulement, qui envoient de l’argent à l’étranger. Que ce soit au Mexique ou dans les Caraïbes, l’argent envoyé sert essentiellement aux dépenses familiales, telles l’alimentation et l’éducation. «Les immigrants canadiens continuent d’envoyer ces fonds essentiels à leur famille en gardant régulièrement contact avec eux», explique un professeur au département de sociologie de l’Université d’Oregon, Dwaine Plaza.
Cercle vicieux
La cofondatrice du Centre d’aide pour les travailleurs immigrants de Montréal et professeure de travail social à l’Université McGill, Jill Hanley, explique la dynamique sociale qui incite des gens à partir à l’étranger pour subvenir aux besoins de leur famille. «Les gouvernements des pays pauvres, pour éviter de se retrouver aux prises avec un bassin de personnes sans emploi, frustrées et appauvries, encouragent leurs travailleurs à partir à l’étranger.» Un bon échange de services s’opère, selon elle, entre le Nord et le Sud. Les pays industrialisés empruntent une main-d’œuvre prête à combler des emplois aux conditions rebutantes qui n’intéressent pas leurs citoyens. La population des pays démunis reçoit quant à elle un revenu colossal qui stimule l’économie nationale. La professeure soutient qu’il y a beaucoup de pays industrialisés qui aimeraient pouvoir dire que ces fonds privés sont une forme d’aide internationale. «Cela les soulagerait de leur responsabilité d’aider les pays en développement.»
Les envois d’argent, même s’ils ne suffisent pas à sortir la population de la pauvreté, permettent tout de même à ceux qui en bénéficient d’avoir un meilleur pouvoir d’achat. «C’est évident et c’est d’ailleurs le but des émigrants lorsqu’ils quittent leur pays. Aux Philippines, par exemple, on peut facilement distinguer ceux qui ont de la famille à l’étranger de ceux qui n’en ont pas: leur maison est plus belle et leurs enfants fréquentent l’école privée.» Néanmoins, le cercle vicieux demeure. «Le pays s’enrichit, mais de façon temporaire; si l’aide extérieure cesse, le problème n’est pas réglé. Il n’y a pas d’emplois créé slocalement avec cette façon de faire.» Même son de cloche du côté de Mathias Lerch, un collaborateur au Laboratoire de démographie et d’études familiales de l’Université de Genève. «Lorsque l’argent est envoyé directement à la famille, il peut entraîner un cercle vicieux. La migration engendre la migration pour maintenir le niveau de vie amélioré.»
Encadrement défaillant
Bien que les immigrants travaillant à l’étranger n’envoient à leur famille que quelques centaines de dollars à la fois, l’addition des montants reçus représente d’importantes sommes d’argent. Pourtant, aucune mesure gouvernementale n’encadre cette lucrative activité. «La seule intervention du Canada en la matière concerne l’aspect sécuritaire de la pratique. Les banques doivent collaborer avec le gouvernement et surveiller les envois qui dépassent les 10 000 dollars», souligne Don DeVoretz, professeur d’économie à l’université Simon Fraser, en Colombie-Britannique,. «Et encore, cette mesure a très peu d’effet, car le montant envoyé par le travailleur est très petit», explique un conférencier en politique internationale de l’Institut des études du Commonwealth à l’Université de Londres, William Vlcek.
René Houle estime que l’envoi d’argent est une pratique moins courante au Canada puisque les immigrants sont sélectionnés et proviennent souvent de milieux plus aisés que les immigrants mexicains aux États-Unis ou marocains en France. Il observe aussi que le regroupement familial est plus fréquent au Canada que dans ces pays. Ces immigrants n’ont donc pas de famille immédiate à soutenir financièrement. Malgré ces caractéristiques, les études sur le sujet demeurent rares et sont difficiles à mener. Le Canada recense l’ensemble des transactions impliquant de l’argent qui quitte le pays dans le cadre d’une enquête nationale de consommation effectuée tous les mois (le Survey of Household Spending). La proportion de ménages qui envoient de l’argent est estimée à 6%. «Mesurer les transferts financiers des migrants par de telles enquêtes comporte cependant ses difficultés», estime Mathias Lerch. Il mentionne que la représentativité défaillante dans ces enquêtes est imputable au refus de certains immigrants d’y participer et à l’absence des travailleurs illégaux des registres officiels. «La relation de confiance se fait difficilement entre l’enquêteur et l’enquêté, car les immigrants ne parlent pas toujours la langue nationale et se méfient parfois des institutions gouvernementales», explique-t-il.
Des politiques à développer
Des mesures incitatives à envoyer de l’argent ont été implantées dans quelques pays possédant un large bassin d’immigrants. En France, le ministère de l‘Immigration a annoncé il y a deux ans la création d’un compte épargne de codéveloppement en partenariat avec la Caisse d’Épargne. Ce programme offre un avantage fiscal à l’immigrant qui envoie des fonds, à la condition que la somme versée soit utilisée dans le pays en développement à des fins d’investissement plutôt que de consommation immédiate.
Lors de sa participation à une étude sur les comportements de transferts d’argent d’un groupe de Jamaïcains torontois et d’Haïtiens montréalais, Dwaine Plaza a constaté que cette mesure ne serait pas populaire au Canada. «La population des Caraïbes est très suspicieuse envers les mesures gouvernementales. Les Canadiens d’origine carabéenne enverraient leur argent à des individus afin de s’assurer que la somme soit utilisée à bon escient plutôt que de le confier à leur gouvernement.» Il croit que la plupart des immigrants veulent un service efficace et rapide pour l’envoi d’argent, ce qu’une intervention gouvernementale ne permettrait pas. Mathias Lerch demeure toutefois ouvert à l’initiative française. «On observe actuellement une situation de monopole du marché des transferts de fonds, tenu par quelques compagnies privées qui pratiquent des prix excessifs. Promouvoir la concurrence en incitant les banques traditionnelles à investir plus activement le marché serait certainement bénéfique.» Ces fonds étant privés, il soutient toutefois que ce n’est pas à l’État de les gérer. «Il devrait plutôt créer les conditions financières cadres propices aux utilisateurs.»
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