Contester du bout des doigts

Confortablement assis devant leur ordinateur, les internautes peuvent maintenant jouer les activistes en brandissant des pancartes virtuelles. D’un clic de souris, ils contestent les réseaux de pouvoir qui s’incarnent de plus en plus sur le Web.

Illustration Jo-Annie Larue

Pendant les Jeux olympiques de Beijing, des internautes de partout dans le monde ont pu s’exprimer contre la censure et pour la liberté de presse en Chine dans une manifestation virtuelle organisée par Reporters sans frontières (RSF). Chaque individu était invité à s’identifier sur le site Web de l’organisme et à choisir un slogan avant de s’intégrer aux autres militants virtuels. «Certaines personnes n’ont pas le luxe de manifester, explique la directrice de RSF Canada, Katherine Borlongan. La barrière physique n’est plus une excuse pour ne pas montrer sa volonté. On peut maintenant contester sans être effrayé par la répression.»

 

Les cybermanifestations, la désobéissance civile électronique et le blocage de certains sites en les surchargeant de demandes sont appelés des actions directes virtuelles de masse (AVDM). Ce type de moyen de pression peut avoir le même effet qu’une occupation réelle, comme ce fut le cas lors de la réunion le l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1999 à Seattle. L’Electrohippie collective, aussi appelé ehippies, a mis à la disposition des internautes un logiciel qui téléchargeait sans cesse les données du site Internet de l’OMC dans le but de bloquer les échanges d’information entre les délégués. Les ehippies ont réussi à mettre hors ligne le portail de l’OMC à deux reprises et à le ralentir durant toute la conférence grâce à la participation de 450 000 ordinateurs en cinq jours.

Efficacité incertaine
Bien qu’une cybermanifestation de RSF ait rassemblé plus de 40 000 personnes en mars dernier, l’organisme ne considère pas qu’elles puissent remplacer les actions traditionnelles. C’est pourquoi il a aussi organisé des rassemblements devant plusieurs ambassades de Chine durant les derniers Jeux olympiques. «En fait, notre manifestation virtuelle était plutôt une pétition glorifiée. On voulait que les gens prennent conscience qu’il s’agit d’un acte collectif et non individuel», explique-t-elle. Le professeur de science politique à l’UQAM, Francis Dupuis-Déri, précise que le militantisme virtuel fait l’objet de débats depuis plus d’une quinzaine d’années. «Certains disent que c’est une façon de contester les autorités dans la mesure où les réseaux de pouvoir sont virtuels, donc qu’on peut affecter le pouvoir en perturbant son incarnation. D’autres vont plutôt croire que ce ne sera jamais aussi efficace que les rencontres face à face et la structuration organique, d’esprit et de corps, d’un mouvement social.»

Selon un chercheur à l’Open University de Londres, Tim Jordan, les ADVM peuvent être vues comme une option facile. «S’il est vrai que l’ADVM permet à de nombreux manifestants incapables d’être présents physiquement de participer, les participants virtuels n’encouragent pas le risque que représente la foule, et ils n’éprouvent pas le sentiment de solidarité», écrit-il dans S’engager, les nouveaux militants, activistes, agitateurs, un ouvrage écrit en 2002.

Une apparente démocratisation
«Internet est devenu un espace citoyen. Les cybermanifestations sont beaucoup plus démocratiques, car tous ceux qui ont un ordinateur peuvent participer», explique Katherine Borlongan. Internet peut sembler démocratiser l’engagement politique, mais de réels problèmes subsistent. «Ça prend beaucoup plus de temps pour organiser une cybermanifestation qu’une manifestation réelle, explique la directrice de RSF Canada. Il faut créer des visuels, se rendre visible sur le réseau alternatif et mainstream du Web et mettre en place les logiciels de comptabilisation des personnes.»

Quant au professeur Tim Jordan, il préconise plutôt ce qu’il nomme la bad technology, c’est-à-dire que l’action virtuelle doit demander le moins de connaissances techniques possible. De cette façon, il croit qu’une ADVM sera plus démocratique, participative et englobante. «Il n’y a pas que l’aspect des compétences techniques minimales dans le militantisme virtuel qui peut constituer un problème, constate Francis Dupuis-Déri. Des centaines de millions de personnes, comme en Afrique, vont être limitées parce qu’elles n’ont pas Internet.»

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