On ne poke pas les morts

Le Web et la mort

Pris au piège dans la toile du Web, les profils des personnes décédées errent sans but sur les réseaux sociaux. Ces fantômes virtuels impliquent une nouvelle manière d’appréhender la mort sur Internet.

Illustration: Dominique Morin

Sur Facebook, Pierre-Alexandre Métras a 327 amis. Célibataire, né le 26 avril 1990, c’est un fan de Lil Wayne. Sur sa photo, il est souriant, une bière à la main, entouré de deux chums. Vous pouvez essayer de l’ajouter à votre liste d’amis, mais vous n’aurez jamais de réponse: Pierre-Alexandre est décédé depuis cinq mois. Sur son profil, des amis lui laissent encore des messages.

Un compte Facebook reste ad vitam æternam. Lorsque son créateur passe l’arme à gauche, la page du réseau social ne disparaît pas. Cette présence virtuelle peut aider à surmonter le deuil. Vicky et sa famille ont retiré beaucoup de réconfort du profil de son frère, Pierre-Luc, décédé en avril dernier. «Ça nous a permis d’écrire des pensées sur son wall, de lui « parler » et de lire les témoignages de ses amis.»

Avec plus de 200 millions d’utilisateurs, la mort fait inévitablement partie du quotidien du site de réseautage Facebook. Une page «mémorial» est d’ailleurs prévue pour les personnes décédées. Afin de la créer, un proche du défunt doit présenter un certificat de décès. La majorité des informations et des options disparaissent alors pour laisser place à un simple mur destiné à accueillir les condoléances. Ainsi, après les pokes, les quizz et autres applications ridicules, faire son deuil sur le deuxième site le plus consulté au monde est désormais possible. De la même manière, mydeathspace.com recense les détenteurs décédés d’un profil Myspace.

Pour Adele McAlear, consultante marketing spécialisée dans les médias sociaux, si la manière de vivre un deuil s’adapte, le deuil en lui-même ne change pas. «Quand un ami décédait, vous alliez habituellement aux funérailles et vous vous retrouviez en groupe pour vous recueillir, explique-t-elle. Le Web permet désormais tout ça sans avoir besoin d’être dans la même ville. Nous nous rassemblons toujours pour pleurer, mais on peut être chacun à l’autre bout de la planète.»

Les fossoyeurs du Web

Surfant sur la vague funéraire du net, des entreprises ont eu l’idée de proposer toutes sortes de services pour vivre un deuil sans compromis. C’est le cas du site Web lecimetiere.net, un cimetière virtuel où il est possible de créer un profil d’«ange» pour une personne décédée. L’envoi d’une photo et d’une petite description est gratuit. Toutefois, il faudra sortir sa carte de crédit pour acheter une stèle – qu’il faut changer tous les ans, sans doute à cause de l’usure – afin d’orner une tombe hébergée sur un serveur quelque part sur la planète. Des bougies, qui fondent en temps réel, sont également disponibles ainsi que des fleurs, au coût de 1,50 euro pour trois.

L’utilisation d’Internet a pris une place tellement importante qu’un marché pour les testaments électroniques s’est également développé. «Que ce soit des courriels ou des comptes Facebook, LinkedIN ou Paypal, ces possessions virtuelles sont devenues aussi précieuses que les réelles», indique Jeremy Toeman, fondateur de l’entreprise Legacy Locker, basée à San Francisco. Pour 300 dollars US, son entreprise conserve les données confidentielles de vos différents comptes en ligne et se charge de les envoyer à vos proches en cas d’accident malheureux. Des messages vidéos et des lettres peuvent également y être joints.

Présentement, la loi est plutôt vague pour ce qui est des possessions virtuelles. Rien n’encadre clairement leur héritage non plus. «Les technologies évoluent si rapidement que les aspects légaux n’ont pas le temps d’être considérés», estime Adele McAlear.

Devant ce flou juridique, certains avancent qu’un testament électronique où l’auteur indique l’avenir souhaité de sa vie virtuelle est plus que nécessaire. «Un cas flagrant est celui d’une veuve qui a obtenu l’accès à la boîte courriel de son mari, indique Jeremy Toeman. Et si ce n’était pas ce qu’il aurait voulu? Si on ne considère pas les intentions des défunts, on prend le risque de se tromper.»

Le Web permet aujourd’hui, et sans doute encore plus demain, de modifier nos comportements sociaux. Mais tout ne peut pas changer, avance Joël Corriveau, un blogueur qui a perdu un ami en 2007 et dont le profil Facebook existe encore. «L’utilisateur frénétique de Facebook se définit lui-même en mettant à jour son statut. Est-ce réel? Absolument. Cela revient-il à parler avec de vrais personnes? Pas du tout. Un poke sur Facebook n’équivaut pas à serrer quelqu’un dans ses bras. Et on a tous besoin de chaleur humaine de temps en temps.»

Léguer sa porno

Vous avez peur que votre famille découvre vos films XXX après votre décès? Le Porn Buddy est là pour vous! Ce testament développé par les consommateurs de pornographie consiste à mettre un ami proche dans la confidence. Ainsi, en cas de décès, cet «exécuteur testamentaire» a pour mandat de débarrasser la maison et l’ordinateur du défunt de toute trace de matériel compromettant avant que la famille endeuillée ne fasse le tri. Cependant, rien ne dit si le Porn Buddy peut conserver le matériel pour son propre usage…

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