La littérature racontée en innu-aimun

Même si la jeunesse autochtone est moins exposée à ses langues maternelles, le désir de les préserver persiste, notamment grâce à la traduction d’œuvres littéraires. 

Richard Compton, professeur de linguistique à l’UQAM et spécialiste des langues inuites, explique que les traductions en langues autochtones se font souvent à des fins officielles, telles que des communications d’Hydro-Québec. Il précise que cela s’avère plutôt rare pour les œuvres culturelles et littéraires, car celles-ci sont longues, dispendieuses et doivent s’adapter aux différents dialectes. 

M. Compton souligne le manque de financement pour l’enseignement de ces langues. Les jeunes des communautés autochtones reçoivent plus d’heures d’enseignement en français ou en anglais. Ces étudiant(e)s ont également peu accès à des manuels ou des livres en langues autochtones. Cela explique le peu de demande pour de tels travaux de traduction. 

Il propose alors que les jeunes Autochtones soient exposé(e)s à davantage de contenu et d’heures d’enseignement dans leurs langues. Il considère la possibilité que l’entièreté du système éducatif des communautés autochtones se fasse en langues autochtones, citant l’exemple du Groenland, par exemple. 

Réappropriation culturelle? 

René Lemieux, professeur en traductologie à l’Université Concordia et directeur de l’Observatoire de la traduction autochtone, juge que la traduction à des fins littéraires est un moyen de survie et de transmission de ces langues. 

M. Lemieux considère que la traduction d’œuvres littéraires est une forme de réappropriation culturelle. Il ajoute que ces écrits s’avèrent être des ouvrages universels, destinés à être consommés par tous les humains, peu importe leurs origines. 

Selon lui, cela reviendrait à inclure les langues autochtones dans la culture populaire de la même manière que les langues officielles. Il mentionne aussi le travail de sous-titres et de doublage en Anishinaabemowin (Ojibway) pour Star Wars I: La menace fantôme, diffusé l’été dernier dans des salles de cinéma à Winnipeg, au Manitoba. 

«Ce genre d’initiative, qu’on traduit Star Wars ou qu’on traduit Le Petit Prince, montre implicitement que les langues autochtones peuvent traduire n’importe quelle réalité culturelle », indique-t-il. 

Le Petit Prince en innu-aimun

Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry sera traduit pour une première fois en innu-aimun, grâce au travail de la professeure de linguistique de l’Université de Montréal Yvette Mollen. 

La traductrice considère qu’il n’y a pas de processus de réappropriation culturelle dans son travail, car elle croit que la culture autochtone demeure tout de même vivante. Elle juge qu’il faudrait davantage de traductions pour que cela ait une incidence considérable contre la disparition des langues autochtones. Elle n’omet pas que cela peut contribuer à la préservation de ces langues. 

Mme Mollen est également de l’opinion que la traduction d’une œuvre telle que Le Petit Prince peut contribuer à l’enseignement et à la survie des langues autochtones. Les jeunes Autochtones reçoivent généralement peu d’heures d’apprentissage de leur langue autochtone maternelle, soit environ 40 heures par année en moyenne, ce qui est nettement insuffisant, d’après la professeure.

En conséquence, le niveau de maîtrise de ces langues est limité au sein de la population et la demande pour des ouvrages littéraires en langues autochtones aussi. La traduction en innu-aimun d’une œuvre connue telle que Le Petit Prince peut donc contribuer à inverser la tendance, dit-elle.

La traductrice considère que les parents occupent un rôle important quant à la survie de ces langues. Elle met l’accent sur le fait que de nombreux parents parlent en langues allochtones à la maison. En date de 2021, Statistique Canada recense 184 170 Autochtones ayant une langue autochtone comme langue maternelle, soit une baisse de 7,1 % par rapport à 2016. Mme Mollen propose alors aux parents d’accorder une priorité à ces langues dans le foyer familial. 

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