Fyore, « née en Afrique et dans la neige »

Fyore c’est « un alien avec des tresses tentaculaires né dans le creux d’un baobab », confie Élodie Kpanté, de son vrai nom, dans le café du Théâtre Sainte-Catherine. Sur son premier microalbum, DZIDZI, sorti en octobre dernier, l’artiste originaire de Gatineau unit le surnaturel et l’afrobeat sur un son pop mélancolique.

DZIDZI, qui signifie « naissance » en éwé, langue nationale du Togo, évoque aussi le surnom utilisé par la famille d’Élodie, « Didi ». Née d’une mère québécoise et d’un père togolais, elle a grandi dans l’admiration de modèles comme Annie Brocoli. « Toute ma jeunesse, mes modèles n’étaient que des femmes blanches aux yeux bleus, comme ma mère, ma grand-mère », dit-elle.

À 17 ans, Élodie Kpanté gagne un concours au studio de musique communautaire, Adojeune, organisé par Atoumane Diop. « C’est grâce à lui que j’ai fait mes premiers shows avec un band et mes premières répétitions avec des musiciens. »

En 2020, le décès de l’Afro-américain George Floyd aux mains de la police amorce une grande prise de conscience de sa propre expérience du racisme. « J’étais en tabarnak. Je ne savais pas que ce n’était pas un compliment quand les gens me disaient : “T’es vraiment belle pour une noire.” J’ai reçu tout ça d’un coup », déplore-t-elle.

La renaissance d’une double identité

Après trois ans d’études en musique au Collège Lionel-Groulx et une pandémie prolifique d’un point de vue créatif, DZIDZI prend son envol. Dans cet album, elle « renaît de ses cendres » et laisse sa quête identitaire devenir un combustible de création. « J’apprenais à ce moment-là à cuisiner du fufu, à faire mes tresses », explique-t-elle en entrevue avec le Montréal Campus. Fyore, son personnage surréaliste aux pupilles blanches, est né « un peu en Afrique et un peu dans la neige ». 

« Même hier, j’écrivais une toune sur le feeling de t’ennuyer d’une place que tu ne connais pas, de t’ennuyer de la famille que tu ne vas jamais rencontrer et des pratiques ancestrales que tu ne vas jamais connaître »

Élodie Kpanté

« Même hier, j’écrivais une toune sur le feeling de t’ennuyer d’une place que tu ne connais pas, de t’ennuyer de la famille que tu ne vas jamais rencontrer et des pratiques ancestrales que tu ne vas jamais connaître », confie Élodie.

L’afrobeat ensorcelant

Depuis, son historique de navigation Google est rempli de coutumes culturelles togolaises. « Lorsque les hommes arrivent à la majorité, ils doivent faire une danse sur la braise appelée T’bol. Je me rappelle de mon père qui sort une plaque du four à mains nues et qui me dit : “Ne t’inquiète pas, on marche sur la braise chez nous” », raconte-t-elle. 

Ces rites traditionnels inspirent une aura surnaturelle qui parcourt DZIDZI, tant dans l’esthétisme que dans les sonorités éthérées. Les rythmes d’afrobeat sont ensorcelants. Sur la pochette, ses tresses la couronnent comme les serpents de Méduse.  

Pochette du microalbum DZIDZI

Karaba, mère féministe

La chanson finale du microalbum, Karaba, est un hommage à la sorcière africaine toute-puissante du film Kirikou et la Sorcière, dont la férocité est le « miroir de la méchanceté des hommes », selon Élodie. Une figure féministe noire qui apaise la rage de Fyore face à la marginalisation des minorités. « Karaba est sauvée par Kirikou, mais dans ma tête, c’est impossible. Si c’était de moi, ce serait une sororité qui lui enlèverait sa souffrance. » 

Résolument engagée, Fyore critique le manque de reconnaissance des femmes noires dans l’industrie musicale. « Je sens qu’il y a une pression [supplémentaire] sur les femmes noires. Il faut que tu sois exceptionnelle pour avoir une partie de la reconnaissance qu’un monsieur blanc aurait », se désole-t-elle. 

Son conseil pour rendre le milieu plus inclusif? Mettre des personnes noires en position d’influence, notamment dans les concours pour la relève, comme les Francouvertes. Selon elle, les jurys qui sont composés uniquement de personnes blanches ont des biais inconscients désavantageant les artistes issus de la diversité. « Ça peut être cool d’avoir des gens noirs sur ta programmation, mais il faut que les gens en arrière aussi soient noirs. »

Sur son compte Instagram, Fyore (@fy0re) partage des listes de lecture exhaustives d’artistes afro-descendants du Québec d’hier et d’aujourd’hui. Elle se fait le devoir de rechercher et de réunir les artistes noirs d’ici. 

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