On pensait que l’industrie du rap ne pouvait rien nous offrir de plus en 2024. On pensait que le public était satisfait, rassasié. Et puis, le petit prince de Compton est venu apporter une nouvelle pierre à l’édifice.
Appuyer sur le bouton « rejouer ». Voilà l’unique option qui se présente à nous après avoir terminé gloria, la dernière chanson du plus récent projet de Kendrick Lamar, le renversant GNX. Le rappeur californien a lancé, sans aucune promotion ni avertissement, son sixième album vendredi dernier, à midi, provoquant un séisme parmi le public amateur et la critique.
Rarement a-t-on entendu un Kendrick Lamar aussi sûr de lui et irrité que dans wacced out murals, entrée en matière de ce sixième album. Une réelle trace de sa confrontation avec Drake ayant marqué le globe au printemps dernier. Pas vraiment de ligne assassine claire dirigée à l’encontre de la figure de proue d’OVO dans cette introduction (ni dans le reste de l’album, d’ailleurs). En revanche, Lil Wayne va, quant à lui, recevoir une petite pique de la part de Lamar dès les premières phrases rappées, ce dernier accusant l’auteur de Tha Carter III de l’avoir laissé tomber, malgré le travail acharné. Si Kendrick Lamar a un immense respect pour ceux et celles qui ont tracé la voie à la fin des années 80, il ne tombe pourtant pas dans une nostalgie aveugle et met rapidement les points sur les i : c’est lui, aujourd’hui, la figure première du rap contemporain chez nos voisin(e)s américain(e)s.
West Side Story
Tout au long de GNX, Lamar ne se montre pas particulièrement introspectif, comme dans Mr. Morale & the Big Steppers, ou conceptuel, comme dans Good Kid, M.A.A.D City. À ces paramètres, il préfère embrasser complètement le style dans lequel il a nourri, jeune, sa plume d’aspirant rappeur. Un son pur West Coast, donc, pur 213, pur Grove Street.
Nommer un morceau heart pt. 6, en faisant complètement abstraction de cette horrible et ultime réponse de Drake dans la confrontation printanière, c’est à la fois arrogant, drôle et subtil. Kendrick Lamar remet alors au goût du jour sa série The Heart et, surtout, reprend ce qui lui est dû. Cette reprise sublime mêle une production R&B et disco rappelant l’album Off the Wall de Michael Jackson avec un fond de souvenirs passionnants rappés par l’artiste. Dans le gratin des meilleurs titres de sa discographie, tout comme reincarnated. Les producteurs derrière ce sixième titre de GNX échantillonnent le morceau Made Nig-z de 2Pac en y incorporant une jolie touche moderne ; et le texte, que dire du texte ? Kendrick Lamar s’aventure dans le concept de la réincarnation pour bifurquer peu à peu vers une conversation entre Dieu et Satan. Sans qu’on se rende compte du changement de ton. La plume est précise, fluide. Un des exemples de l’album qui prouve que le prix Pulitzer remporté par Kendrick Lamar en 2018 était tout sauf volé.
Inspiré, puis inspirant
Les productions rappellent le chaleureux son West Coast, les références culturelles aussi (dodger blue en est la mine d’or), mais Lamar va plus loin pour mettre de l’avant son bout de pays : à la place de s’entourer de grands noms du hip-hop actuel, comme Baby Keem ou J.I.D, Kendrick Lamar donne la chance, tout au long de l’album, à des rappeurs locaux et émergents de faire leurs preuves. C’est comme si Céline Dion, connue bien au-delà des frontières du Québec, lançait un album comprenant des morceaux en collaboration avec Philippe Brach, Klô Pelgag, Velours Velours et Safia Nolin : le rayonnement international serait sans pareil. C’est extrêmement audacieux comme choix de la part de Lamar, l’artiste répétant régulièrement sa volonté de donner un coup de pouce à l’industrie du rap californienne, comme un grand frère.
Kendrick Lamar aurait pu ajouter Not Like Us dans GNX pour recueillir quelques millions de lectures supplémentaires, mais, encore une fois, il est loin d’être un artiste qui se repose sur ses lauriers.
Cette année a été l’une des plus fructueuses et surprenantes de l’histoire du rap contemporain (Chromakopia, We Don’t Trust You, Blue Lips, The Death of Slim Shady (Coup de Grâce)…), et la parution de GNX s’apparente à la cerise sur le gâteau. Une cerise sur le gâteau qui tend pourtant vers l’échauffement : sur les réseaux sociaux, beaucoup lancent l’hypothèse que GNX n’est qu’une mise en bouche, Lamar qui ferait paraître un deuxième projet plus cohérent et assassin au cours des prochaines semaines, voire des prochains jours. D’ici son spectacle de la mi-temps au Super Bowl LIX, en fait. De discrètes déclarations de l’équipe du rappeur semblent confirmer la théorie.
Et pourtant, un Lamar à 75 % de ses capacités – qui se fait principalement plaisir – parvient tout de même à lancer non seulement le meilleur album hip-hop de l’année, mais simplement l’un des meilleurs albums du genre de la décennie 2020. Signe d’un grand artiste. Signe d’un génie.
Note : 9/10
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