Jadis contrôlées sous le colonialisme, les pratiques artistiques ainsi que les traditions ancestrales autochtones sont devenues des produits de la culture populaire. Les nombreuses communautés se réapproprient leur art à travers les moyens d’expression d’aujourd’hui.
Les pratiques créatives des communautés autochtones sont aussi nombreuses que variées. « Il y a l’art rupestre avec ses fresques et ses pétroglyphes. Puis, il y a les parures, c’est-à-dire le perlage, les coiffes, les habits, les bijoux, le fait main, l’artisanat et le tatouage. On y trouve aussi toutes les formes de prise de parole comme la littérature, le cinéma et le chant », énumère le commissaire d’art, sociologue et professeur wendat d’art à l’Institution Kiuna, Guy Sioui Durand.
Par exemple, l’artiste, chorégraphe et danseuse professionnelle mohawk de Kahnawake, Barbara Kaneratonni Diabo, se spécialise dans la danse du cerceau, danse traditionnelle pratiquée uniquement par des hommes à l’origine, où sont utilisés des cerceaux au rythme de la musique. « Autrefois, son origine était associée à la guérison et aux cérémonies. Aujourd’hui, la danse du cerceau est une danse qui raconte très souvent des histoires », explique Mme Diabo.
Des pratiques qui ont résisté
La colonisation européenne de l’Amérique a bousculé les pratiques artistiques des communautés autochtones, notamment par l’introduction de nouveaux matériaux lors des échanges commerciaux au XVIe siècle, explique la professeure d’histoire de l’art à l’Université de Montréal, Louise Vigneault. Celle-ci cite en exemple les perles de coquillage et en terre cuite, qui ont été remplacées par celles en verre pour diverses raisons telles que la variété des couleurs offertes et la meilleure qualité de résistance.
Un engouement a eu lieu au XIXe siècle auprès des artistes autochtones, car leurs objets ont créé une demande au Canada ainsi qu’en Europe. En raison de cette activité économique, Mme Vigneault explique que les populations autochtones ont « transformé leurs pratiques pour plaire et servir les goûts des Européens. [Elles] ont perdu le contrôle sur l’évolution de leurs pratiques. »
Avec l’adoption de la loi fédérale sur les Indiens instaurée en 1876, « les pratiques artistiques cérémonielles et rituelles des Autochtones [ont été] interdites par la loi sous peine d’amende ou d’emprisonnement », informe la professeure d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Caroline Nepton Hotte. Les personnes affectées par la loi ne retrouveront qu’en 1951 le droit de « pratiquer leurs cérémonies et leurs activités culturelles » à nouveau, grâce à l’amendement de la Loi sur les Indiens.
Les années 60 et 70 se sont inscrites dans une « renaissance autochtone » selon Mme Nepton Hotte, elle-même issue de la communauté innue de Mashteuiatsh. « Les artistes autochtones ont marqué les milieux de l’art dès les années 1960 et 1970 en proposant tout un style de création et de peinture. Leurs œuvres ont été diffusées par des réseaux de l’art moderne au Canada et à l’échelle internationale. Ces créateurs et ces créatrices ont mis au défi les commissaires en art et les institutions artistiques », précise-t-elle.
La résurgence d’artistes autochtones signifie aussi la revivification des techniques artistiques ancestrales dont « la trajectoire a été interrompue par le colonialisme », détaille la professeure adjointe métisse de la Faculté d’éducation de l’Université de la Colombie-Britannique, Shannon Leddy. Certains peuples autochtones vivant dans l’ouest du Canada fabriquaient des mâts totémiques et de grandes sculptures. Ces pratiques ont été perdues aux XIXe et XXe siècles, mais ranimées par des artistes il y a 50-60 ans. « Ces artistes se sont inspirés des éléments stylistiques de ces anciennes sculptures pour ensuite les reproduire dans leurs œuvres », explique Mme Leddy.
Si les moyens d’expression artistique utilisés par les communautés autochtones sont revenus en force, ils continuent toujours d’évoluer. « Les artistes autochtones évoluent comme les matériaux évoluent. Les artistes évoluent aussi selon des enjeux contemporains comme n’importe quelle autre communauté culturelle », souligne Shannon Leddy.
Par exemple, Lil’ Red Dress Project est un projet communautaire qui a été créé par Carla Voyageur et Jeannine Lindsay en 2018 pour sensibiliser le public au sort des femmes et des jeunes filles autochtones disparues et assassinées au Canada. L’équipe derrière cette initiative conçoit des boucles d’oreille et des épingles en perles rouges, couleur symbolique pour le mouvement. Leurs créations sont affichées sur les réseaux sociaux et sur leur site web.
Les paroles des artistes à l’ère d’Internet
Les pratiques artistiques autochtones connaissent un nouvel essor au XXIe siècle grâce aux réseaux sociaux. Selon Louise Vigneault, le numérique « rejoint la conception des communautés autochtones du territoire ouvert qui n’a pas de frontières et qui est prompt aux échanges. » Un grand nombre d’artistes issu(e)s des communautés autochtones se trouvent sur le web, puisque c’est une façon de contourner les institutions artistiques. Internet permet aussi aux créateurs et aux créatrices autochtones de garder le contrôle sur leur culture et « de préserver le localisme de chaque communauté ».
L’illustratrice québécoise et mohawk Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush prouve cette idée avec l’événement hebdomadaire qu’elle coordonne : daphne beads : perler/parler. Il s’agit d’un cercle où les femmes, présentes par visioconférence, discutent en faisant du perlage. « C’est une façon d’apprendre des femmes et d’artistes expérimentées. J’ai l’impression de parler à des amies proches et à de la famille », raconte-t-elle.
La jeune artiste affectionne ces rencontres. « Sur Internet, il y a vraiment de belles communautés. Ces endroits sont essentiels en temps de pandémie pour parler à d’autres Mohawks et à d’autres Autochtones », témoigne-t-elle, un sourire aux lèvres.
Photos fournies : Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush
Laisser un commentaire