Il était une fois, une bonne blague survenue des confins du Web, prise beaucoup trop au sérieux par une poignée d’usagers de Facebook. Une prise de bec intergénérationnelle de petite envergure s’en est suivie. Fin.
Cette histoire, appelée à se répéter, c’est celle de «OK boomer». Deux mots devenus phénomène culturel malgré eux. Ils ont fait jaser la planète entière le mois dernier. Ils ont fait couler de l’encre et ont engendré des milliers de clics, puisque plusieurs médias se sont attelés à la tâche complexe de décortiquer l’expression. Certains l’ont mal saisie, contribuant ainsi à creuser un inutile fossé entre plusieurs générations qui prennent un malin plaisir à verbaliser leurs différences.
Le premier «OK boomer» aurait été vociféré le 3 septembre 2015 sur le site 4Chan, disent les archéologues du mème. La courte répartie atteint le site Web Reddit deux ans plus tard, pour ensuite migrer sur Twitter au printemps 2018. Il faut attendre 2019 pour que «Ok Boomer» heurte les oreilles sensibles du grand public.
Quand la députée néo-zélandaise Chlöe Swarbrick s’est servie du terme en dehors de l’espace virtuel en novembre dernier, quelques gérants d’estrade délétères n’ont pas tardé à pointer du doigt les millénariaux et la Génération Z au grand complet. Ils étaient nombreux à dénoncer le slogan à coups de sermons tels que «les jeunes l’ont eu tout cuit dans le bec» et de «moi à leur âge». L’expression critiquée a-t-elle sa place dans un parlement? Pas vraiment.
Au lieu d’y voir une attaque personnelle, il aurait plutôt fallu y décoder une réponse désopilante à quelques critiques lancées ici et là. À juste titre, le New York Times a comparé l’expression à un roulement des yeux condescendant.
«OK boomer» est une simple manifestation ludique de la nonchalance avec laquelle les plus jeunes affrontent quotidiennement des commentaires parfois désobligeants sur leur prise de position ou leur attitude. Les mèmes, ces outils de communications hors du commun qui propagent des gags hilarants, se sont vite chargés de l’amplifier et de la cuisiner à toutes les sauces.
Étrange toute cette controverse, puisque l’expression est à prendre au deuxième degré. Surtout, alors qu’elle se moque d’une mentalité plutôt que d’un groupe de personnes nées dans les années 40 à 60. Plusieurs baby-boomers seront heureux et heureuses d’apprendre qu’ils ne sont pas tous visé(e)s par le populaire slogan. Le concept de «boomer» appliqué aux codes virtuels du mème s’apparente plus à un ensemble d’idéologies qu’à une génération donnée. Autrement dit, il ne rit pas de l’ensemble des boomers, mais plutôt des gens réfractaires au changement ou à la critique facile.
Dans l’esprit des créateurs de mèmes, les memelords, l’être ridiculisé est celui qui arrose son gazon alors qu’il va pleuvoir, nie les changements climatiques, pense que les Arabes viennent de Musulmanie et termine chaque phrase par «tokébekicitte». L’humour se sert souvent de stéréotypes. Le terme «OK boomer» joue sur celui du boomer qui signe ses messages à la ponctuation douteuse et par «envoyé de mon iPad». Le voilà donc, le boomer du mème.
Certains considèrent les millénariaux comme hypersensibles et jugent qu’ils ne peuvent plus rien dire, coincés dans leur respect d’autrui et dans leur safe space. D’autres pensent le contraire. La division entre ces deux groupes n’est pas nécessairement dictée par l’âge. Boomer est utilisé comme un terme fourre-tout.
S’il y a bien une leçon importante à retirer de cette cocasse histoire, c’est que l’importance sociale des mèmes ne devrait plus être remise en question. Au lieu de perpétuer des querelles inutiles, saluons plutôt le fait que les amateurs de mèmes ont eu de quoi s’extasier. Parmi la crème de la crème, une image du populaire bébé Yoda marmonnant les mots «Boomer, ok» et un «Certes, ancêtre» bien lancé par les créateurs de la page Facebook québécoise Mesmes Moyenagescqves povr serfs et vassals. On admire ici l’ingéniosité du parler moyenâgeux au service d’une catchphrase culte.
Ceux qu’on appelle les millénariaux sont plus créatifs qu’ils ne le laissent entendre. Si les adeptes du boomerisme sont restés pris dans la tourmente, Internet, lui, est déjà passé à un autre mème.
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