Le lancement d’Apple TV + est venu consolider la tendance des grands joueurs du divertissement à lancer leur propre plateforme de visionnement en ligne. Cette nouvelle ruée vers l’or a de quoi inquiéter Netflix : les géants du web sont prêts à tout pour obtenir une part des 25 milliards de dollars américains générés annuellement par le streaming.
« Netflix n’a pas gagné la guerre », affirme l’influenceur en économie numérique Stéphane Ricoul. Même si la plateforme compte plus de 160 millions d’abonnés, « la légère avance que Netflix a prise se rattrape extrêmement rapidement ». Pour le fondateur de eCOM MTL, événement consacré à la transformation numérique et au commerce électronique, la guerre se fait sur le contenu, et le géant du streaming semble perdre des exclusivités de jours en jours. Plus tôt cette année, l’entreprise américaine a subi un dur revers lorsque la chaîne NBC a repris les droits de diffusion de sa série à succès The Office. Cette dernière était la série la plus regardée sur Netflix.
Même si cette diversité de fournisseurs semble avantager la clientèle des services de streaming, elle peut donner des maux de tête lorsque vient le temps de choisir son abonnement. « Bien que les prix baissent et que les offres deviennent plus attrayantes » affirme Stéphane Ricoul, cette compétition grandissante n’avantage pas nécessairement le consommateur et la consommatrice. Selon lui, l’apparition d’exclusivité de contenu propre à certaines plateformes a pour conséquence de le forcer à s’abonner et se désabonner tout dépendamment du contenu qu’il veut regarder. « On risque d’observer un effet d’épuisement », estime le spécialiste.
Un modèle convoité
Bien qu’une multitude de plateformes sont apparues ces dernières années, vraisemblablement attirées par le succès de Netflix, la pérennité de chacune n’est en aucun cas assurée. « Il y a une fidélisation [des abonnés], mais elle est légère, ce qui cause au coût de rétention des abonnés d’être élevé », affirme la sociologue Christine Thoër. Selon la chercheuse, qui a dirigé plusieurs études sur le visionnement connecté chez les jeunes, les coûts derrière de telles plateformes sont énormes.
« Il y a une barrière à l’entrée, c’est-à-dire que pour pouvoir être actif, il faut avoir beaucoup de contenu » et c’est ce contenu qui coûte cher. Bien que Netflix ait généré près de 16 milliards de dollars américains en 2018, la compagnie a dû en investir 12 milliards dans la création et l’acquisition de contenu. Avec l’annonce récente du retrait de la populaire série Friends, qui sera diffusée sur la plateforme HBOmax dès 2020, le défi pour Netflix ne fait qu’augmenter. La compagnie a annoncé plus tôt cette année qu’elle ajouterait 2 milliards de dollars à sa dette pour tenter de maintenir son trône face à de féroces compétiteurs.
Un défi pour les petits joueurs
« Lorsque le marché est restreint, il faut essayer de fédérer, ce qui passe par les partenariats, et donc augmente la potentialité de contenu diversifié », explique Christine Thoër. Elle cite en exemple Tou.tv, qui a réalisé des partenariats avec différentes chaînes, à l’instar de TV5 Monde, qui sera offerte au public en septembre 2020. Le grand défi reste toutefois la découvrabilité du contenu. Étant éloigné du modèle traditionnel de publicité à la télévision, il est difficile pour le contenu qui ne se retrouve pas en première page d’aller rejoindre son public cible.
C’est exactement le problème auquel l’industrie du producteur de film indépendant Andreas Mendritzki fait face. Celui qui est derrière plusieurs films québécois tels Wilcox de Denis Côté ainsi que Primas de Laura Bari, soutient qu’il est très difficile pour l’utilisateur de plateformes de visionnement en ligne de trouver du contenu qu’il ne connaît pas. « Pour un producteur indépendant qui n’a pas un marketing massif derrière son film, c’est très difficile de promouvoir son contenu » insiste le propriétaire de la compagnie de production Greenground. M. Mendritzki estime qu’il y a quelques années, la production et la diffusion de cinéma indépendant se butait à des défis autant technique que marketing, alors que maintenant le défi est 100% marketing.
L’or noir numérique
D’après Mme Thoër, Apple et Amazon ont une avance sur le géant Netflix : ils ont le marché devant eux. « Comme ces entreprises rejoignent déjà des millions des clients et de clientes, il est plus facile pour celles-ci d’aller chercher leur [part du] marché », explique-t-elle. Il y a toutefois fort à parier que Netflix ne jettera pas la serviette dans cette nouvelle ruée vers l’or puisque les incitatifs monétaires sont immenses. « Netflix a inventé un modèle, c’est-à-dire qu’en se présentant comme une plateforme de promoteur, la compagnie a réussi à négocier des droits d’auteurs beaucoup plus faibles », affirme Stéphane Ricoul. Malheureusement pour l’entreprise américaine, les producteurs des contenus qui lui ont permis de se propulser à la tête des services de visionnement en ligne viennent de se réveiller, et, face aux milliards de dollars en jeu, ils ne lâcheront pas le morceau de sitôt.
Photo WILLIAM DAVIGNON MONTRÉAL CAMPUS
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