La sorcellerie « sort du placard à balais »

Potions magiques, chapeaux pointus, sortilèges : cette image de la sorcière reste figée dans l’imaginaire collectif occidental. La sorcellerie a pourtant beaucoup évolué au cours du dernier siècle, allant même jusqu’à être instrumentalisée à des fins politiques, sociales et individuelles.  

« La sorcellerie, d’un point de vue socio-anthropologique, c’est un ensemble de savoirs et de pratiques rituelles qui visent à changer le cours naturel des choses », explique le chargé de cours et doctorant au Département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal Nicolas Pierre Boissière. Cette pratique englobe des mouvances religieuses telles que le paganisme, le druidisme et la Wicca.

« La pratique de la sorcellerie, telle qu’elle est conceptualisée et pensée par beaucoup de mouvances religieuses et d’individus aujourd’hui, renvoie à la sacralisation de la nature, à retrouver le pouvoir en soi, à influencer le cours du destin de manière assez éthique », précise-t-il.  

Les adeptes de la sorcellerie entendent « influencer le cours du destin », notamment grâce à des pratiques et des savoirs rituels axés sur la visualisation positive, selon Nicolas Pierre Boissière. Pour la sorcière pratiquante Zéa Beaulieu-April, ces pratiques procurent aux adeptes le sentiment d’avoir un pouvoir d’action sur leur vie face à un sentiment d’impuissance. La doctorante en sémiologie explique que la construction d’un rituel dépend de chaque personne, de son interprétation et de son appropriation des différents symboles. Pour sa part, elle pose des gestes concrets dans lesquels se traduisent sa pensée et, par incidence, viennent changer sa perception des choses. « C’est vraiment sur ton ressenti que tu vas jouer en faisant des rituels », affirme-t-elle.

Elle ajoute que le regard scientifique prime dans la société actuelle. « Cependant, il y a d’autres façons de ressentir et de recevoir le monde », avance-t-elle.

Un pouvoir d’action

Ces nouvelles notions qui entourent la pratique de la sorcellerie moderne contestent les représentations à connotations négatives qui la caractérisaient au Moyen Âge. Cette vision péjorative de la pratique découlerait des convictions judéo-chrétiennes structurant le monde occidental de l’époque, qui percevait la sorcière comme une menace à la science et à l’ordre social établi, explique Nicolas Pierre Boissière.

À l’époque, une femme qui lisait un livre pouvait être vue comme faisant preuve d’un « comportement dangereux et déviant, susceptible de conduire à la sorcellerie », soutient la chargée de cours et doctorante en études religieuses à l’Université Concordia Cimminnee Holt.

Elle explique que des domaines tels que l’éducation, la culture et la philosophie étaient des domaines strictement masculins. L’éducation d’une femme résultait donc à sa déféminisation. « Si une femme est considérée comme sorcière parce qu’elle s’éduque, alors je suis une sorcière ! », répond Cimminnee Holt. Pour les femmes contemporaines, l’idée d’être une sorcière éduquée, intelligente, indépendante et qui possède sa sexualité est devenue un idéal, ajoute-t-elle.

C’est dans cet esprit que dans les années 1960 et 1970, des groupes féministes se sont réapproprié la figure de la sorcière en Occident. Ces femmes militantes ont politisé l’image de la sorcière, qui se veut dorénavant plus engagée et surtout moins marginalisée. « Régulièrement, au cours de la deuxième moitié du 20e siècle et depuis le 21e siècle, on voit des sorcières qui participent à la vie politique », raconte M. Boissière. Il donne l’exemple de sorcières qui organisent des rituels politiques visant à destituer un homme ou une femme politique.

D’autres mouvements plus larges ont également fait leur apparition. C’est le cas de l’écoféminisme spiritualiste, créé par Starhawk, l’une des figures emblématiques de la Wicca. Cette pratique met de l’avant l’union de principes féministes et écologistes, toujours dans une philosophie sorcellaire.  

Peu importe l’époque, la sorcellerie se résume à « co-créer de manière harmonieuse et dynamique avec la vie », rappelle Nicolas Pierre Boissière.

Photo : SARAH XENOS MONTREAL CAMPUS

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