Afin d’améliorer leurs performances scolaires, certains étudiants se tournent vers l’amphétamine (Adderall) et le méthylphénidate (Ritalin, Concerta), des stimulants habituellement prescrits aux individus atteints du trouble de déficit de l’attention.
Les spécialistes s’entendent pour dire qu’environ 5% des étudiants québécois actuels auraient déjà consommé des drogues de performance scolaire lors de leur cursus universitaire, fait savoir l’expert en drogues de synthèse de l’École de psycho-éducation de l’Université de Montréal, Jean-Sébastien Fallu. Ce chiffre représenterait 14 750 étudiants à l’échelle de la province. «Même si le phénomène est très peu documenté, des études ont démontré que des individus sains se servent de ces substances pour repousser leurs limites personnelles, ou à cause des exigences de leur milieu», ajoute le professeur. Populaires dans des domaines compétitifs tels que le droit, le génie et la médecine, ces drogues réduisent l’anxiété et améliorent la concentration, la capacité de mémorisation et l’état d’éveil.
«Pour la majorité des gens, il y a de grands obstacles à surmonter avant d’être assez motivé pour étudier, explique Mitch*, trafiquant et consommateur d’Adderall depuis trois ans. Avec une seule pilule, il devient possible pour eux d’étudier quand ils le veulent, d’une manière efficace et pour le prix de deux ou trois Red Bull.» Mitch vend chaque capsule au prix de 8$ à 15$. Son fournisseur, une connaissance qui ignore la valeur de sa prescription sur le marché noir, lui refile chaque pilule pour son coût en pharmacie, soit 3$ l’unité. Mitch affirme avoir vendu près de 200 pilules par session quand il se déplaçait d’une université à l’autre pour rencontrer ses clients.
Sans créer d’accoutumance à la base, les drogues de performance scolaire peuvent mener à une dépendance psychologique chez le consommateur. «Ça améliore énormément leurs notes au début, mais l’accessibilité des pilules pousse les gens à étudier plus tard qu’ils le feraient d’habitude», observe Mitch. Le vendeur raconte qu’il se servait des stimulants pour aller chercher des A à ses premières consommations, tandis qu’après un certain temps, il les utilisait pour obtenir la note de passage. «On voit aussi que certaines personnes continuent à s’en servir après avoir obtenu leur diplôme parce qu’elles ne développent aucun autre moyen de gérer leur charge de travail», précise Jean-Sébastien Fallu.
Des effets encore incertains
Les effets secondaires néfastes des drogues comme l’Adderall et le Concerta sur des sujets sains sont peu documentés, révèle Jean-Sébastien Fallu. «Le milieu pharmaceutique suggère que si ces drogues sont utilisées pour traiter un trouble de déficit d’attention, il y aura peu ou pas de retombées négatives. Cependant, il dit aussi que si elles sont consommées par quelqu’un qui n’a pas de prescription, les fonctions cognitives du cerveau, dont la mémorisation et la concentration, faibliront à long terme», partage le professeur. Ce double discours du milieu pharmaceutique serait à la source du scepticisme des usagers quant aux dangers de la consommation de ces pilules, déplore-t-il.
Même si les effets cérébraux de chacune des drogues de performance scolaire sont presque indistincts, leurs effets secondaires ne sont pas toujours les mêmes. «L’Adderall procure un effet d’euphorie, un sentiment d’invincibilité et boost l’ego, des effets qu’on ne ressent pas avec le Concerta ou le Ritalin, atteste Mitch. Je conseillerais donc aux gens de prendre du Concerta, parce qu’il ne donne pas de faux sentiment de confiance en étudiant.» L’Adderall est malgré tout sa drogue de choix, car son égo «a des points faibles», lâche-t-il, sourire en coin.
Une substance contrôlée
Les activités commerciales auxquelles s’adonne Mitch sont passibles d’une peine minimale de deux ans de prison, d’après le Guide du Service des poursuites pénales du Canada. Contrôler la vente et dépister l’usage de drogues de performance scolaire sur les campus universitaires serait toutefois une tâche presque impossible.
Le règlement sur les infractions de nature académique de l’UQAM ne prend pas en compte l’utilisation de drogues de la sorte, confirme la directrice des relations de presse de l’UQAM, Jenny Desrochers. «Prouver hors de tout doute raisonnable qu’un étudiant utilise à des fins de tricheries académiques une drogue serait une opération complexe, laborieuse et coûteuse pour l’Université, convient-elle. Un étudiant n’a pas à dévoiler à l’UQAM qu’il a un trouble nécessitant la prise de médicaments sur prescriptions, ce qui ajoute à la difficulté pour l’Université de prouver la faute.» Jean-Sébastien Fallu précise d’ailleurs que l’amphétamine et le méthylphénidate sont presque immédiatement métabolisés et éliminés du corps.
Dans un contexte de marchandisation et de commercialisation de l’éducation, on voit vite un dérapage potentiel de l’usage de ces drogues, prévient Jean-Sébastien Fallu. «Pour réussir à décrocher un diplôme, les étudiants pourraient se sentir désavantagés s’ils n’utilisent pas les produits psychoactifs en question», prédit-il. De son côté, Mitch compare ce phénomène au dopage sportif. «Tant et aussi longtemps que ce ne sera pas réglementé, on en profitera, promet-il. L’école, c’est une compétition, et on veut se trouver du côté des gagnants.»
*Nom fictif
Photo : Flickr
Laisser un commentaire