Il y a de ces mouvements qui marquent profondément l’imaginaire de nos collectivités, et qui jouissent de codes et de référents singuliers qui franchissent l’épreuve du temps. Avec son refus en bloc de la société dominante, ses idéaux de paix et d’autarcie sans oublier ses chemises fleuries et ses jeans délavées, la vague hippie des années 1960 et 1970 est un excellent exemple d’une contreculture qui a trouvé écho chez une large fraction de la jeunesse québécoise.
Issu d’une étroite collaboration entre les sociologues Jean-Philippe Warren et Andrée Fortin, Pratique et discours de la contreculture au Québec tire le portrait «de la dynamique sociale sur laquelle repose la contestation des années [1968 à la fin de la décennie suivante]». Essentiellement, cet essai se penche sur le mouvement hippie d’un point de vue «québecocentriste». De l’exposition universelle de Montréal à l’été 1967 à la perte de vitesse de la contreculture au tournant des années 1980, les auteurs abordent divers éléments inhérents à ce mouvement qui ont bercé l’«adulescence» des baby-boomers. Les deux universitaires s’ingénient à faire le ménage dans les impressions du lecteur sur ces objecteurs de conscience et à délimiter les frontières quoique peu étanches de la contreculture. Plusieurs mythes sont déboulonnés alors que d’autres, tels que l’éternel triptyque sexe, drogue et rock’n roll, sont confirmés.
Les cinq chapitres de l’essai revisitent donc l’essaim des hippies au Québec jusqu’à leur désillusion polymorphe une dizaine d’années plus tard. Le texte est également ponctué de photographies qui enracinent le propos des auteurs dans cette époque tumultueuse en plus de nous en offrir un bref aperçu. Il revisite les diverses initiatives mises en branle par les hippies dans les quatre coins de la Belle province et offrent le témoignage de personnes qui ont fait partie intégrante du mouvement. L’un des principaux éléments sur lequel se fonde l’analyse conjointe des experts sont les huit ans d’existence de la revue Mainmise, symbole-phare de la contreculture au Québec avec son contenu osé et sa facture psychédélique. D’autres magazines qui s’inscrivaient à l’époque dans ce mouvement sont en outre cités dans les pages de cet essai étoffé, notamment Quartier Libre, Logos et Le Temps Fou.
L’une des forces de cet essai est l’aisance qu’éprouve le lecteur à dresser de multiples parallèles entre les préceptes du mouvement hippie et des initiatives actuelles. Il n’y a qu’à penser à cet engouement répandu pour la cause environnementale, le «do-it yourself» et la simplicité volontaire.
Sans surprise, le livre est dense puisque largement documenté, mais sa lecture n’en reste pas moins fort intéressante. La plume des deux sociologues est claire, précise. Et cet essai a le mérite de lever le voile sur le mouvement hippie au Québec qui fait, d’ailleurs, de plus en plus l’objet de recherches poussées par des universitaires d’ici et d’ailleurs.
La lecture de cet ouvrage est nécessaire à quiconque souhaite découvrir les tenants et aboutissants québécois du mouvement hippie; les temps forts de ces pouilleux qui prenaient d’assaut le Québec pour y construire une société alternative où la drogue, la paix et le retour à la terre guidaient les pratiques quotidiennes.
Critique de Pratiques et discours de la contre-culture au Québec de J.-P. Warren et A. Fortin.
Essai de 266 pages paru chez Septentrion.
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