L’univers des jeux vidéo se transforme depuis quelques années pour explorer de nouveaux enjeux, plus sociaux et davantage humains. Les Call of Duty et Assassin’s Creed ont toujours leur place, mais le marché indépendant est en pleine évolution à Montréal.
Dans Papo & Yo, le joueur se met dans la peau d’un garçon à la peau noire, Quico, qui vit dans une favéla. Quico doit aider son meilleur ami, un monstre immense, à ne pas manger des grenouilles vénéneuses, qui le rendent violent et rageur. La quête n’a rien à voir avec les meurtres de piétons de Grand Theft Auto. Ressentir l’empathie, comprendre l’intimidation, briser les stéréotypes font partie des enjeux abordés par une poignée de créateurs de jeux vidéo qui souhaitent sortir des sentiers battus de l’industrie.
Depuis sa fondation, Minority Media tente de faire évoluer le jeu vidéo, considéré par certains comme le dixième art. En 2012, Papo & Yo avait donné le ton en rejetant les thèmes classiques de la guerre ou du sport. «Il s’agit d’un jeu d’empathie, c’est un thème qui grandit depuis les trois ou quatre dernières années, explique le responsable des communications chez Minority Media, Rommel Romero. Il a fallu Papo & Yo pour prouver qu’un jeu comme ça pouvait être plus mainstream.»
Avec cette première création, la boîte de jeux vidéo de Montréal ne s’écartait pas seulement des stéréotypes dans le choix des protagonistes, mais abordait aussi un thème original dans la relation entre ses personnages. La relation entre le monstre et le jeune garçon est une métaphore de celle qui existe entre un père alcoolique et son fils.
Constatant la croissance de la demande pour ce type de jeu indépendant, Minority Media a créé un deuxième jeu en 2014, toujours sous le thème de l’empathie. Spirits of Spring met en scène un jeune amérindien nommé Chiwatin qui a le pouvoir de conserver l’équilibre des saisons en contrôlant des esprits. Lorsque trois corbeaux humanoïdes et intimidateurs volent les esprits, la région est aussitôt plongée dans un hiver éternel et Chiwatin doit alors partir à leur chasse. «On ne voulait pas faire un jeu où les rôles sont binaires, avec un bon et un méchant, on voulait plutôt montrer ce qui crée un intimidateur. À travers le jeu, Chiwatin arrive à comprendre pourquoi les corbeaux peuvent devenir intimidateurs», expose Romero, qui aide aussi à l’élaboration des personnages dans les jeux.
Les scénarios abordant des thèmes comme l’empathie ont davantage de succès ces dernières années, car le profil des joueurs s’est nettement élargi et s’éloigne du stéréotype du gamer longuement véhiculé. «Dans les années 1980, c’était plutôt un phénomène marginal, c’était une jeune partie de la population qui jouait aux jeux vidéo», note le professeur du Département d’éducation à Concordia, David Waddington, qui s’intéresse à l’impact éducatif des jeux vidéo sur les individus. Selon lui, il s’agit à présent d’un phénomène de masse touchant autant les hommes que les femmes, tous âges confondus.
Les jeux vidéo à gros budget qui jouissent d’une grande couverture médiatique, surnommés AAA dans l’industrie, ne seront néanmoins pas délaissés par les joueurs dans le futur, selon David Waddington. Celui-ci affirme que malgré l’enthousiasme qu’engendrent les jeux indépendants, la demande de jeux comme Grand Theft Auto demeure importante. Le marché s’agrandit plutôt pour faire place à ces joueurs engagés. «Je trouve que chacun peut trouver son compte dans un jeu vidéo», note l’ancien testeur de jeu chez Eidos Montréal, David Mercier. Joueur depuis qu’il a trois ans, David explique qu’un joueur va s’intéresser à un jeu comme un cinéphile va sélectionner un film. Ainsi, il fait le parallèle entre un AAA et un film d’action comme on pourrait le faire entre un jeu indépendant et un film d’auteur.
«On entend la comparaison assez souvent, confirme Rommel Romero. La façon dont on crée nos jeux provient du background des films indépendants et on explore aussi des thèmes qui sont utilisés dans des films d’auteur», précise-t-il.
Un individu en quête d’émotions fortes pourrait autant choisir un film avec beaucoup d’action comme Hunger Games qu’un jeu vidéo comme Call of Duty où le même type d’émotion est ressentie. Il y a quelques années, les gens se demandaient s’il y avait juste des jeux de guerres et des jeux de sport. «Ceux qui ne s’intéressaient pas au jeu vidéo comprennent que c’est plus complexe à présent», confirme le rédacteur de Minority Media.
La boîte prépare un nouveau jeu vidéo qui sortira sous peu. Time Machine amènera les joueurs dans un voyage virtuel au temps de la préhistoire et se jouera en trois dimensions. De plus, l’équipe de Minority Media annonce qu’il s’agira de l’un des premiers jeux disponibles sur Oculus Rift, une nouvelle plateforme de réalité virtuelle. Les jeux à gros budget n’ont plus le monopole et ils devront dorénavant s’habituer à partager le gâteau avec les jeux indépendants.
Laisser un commentaire