À cheval entre Adam et Ève, les personnes au physique androgyne intriguent. À la frontière de l’inclassable, ils deviennent injustement la cible d’homophobie.
Mains délicates, cheveux rasés, grands yeux, le premier coup d’oeil envers Éric* sème immédiatement le doute dans l’esprit des gens qu’il rencontre. Ceux-ci supposent qu’il est homosexuel, en raison de son physique androgyne. Souvent utilisé dans l’industrie de la mode, ce qualificatif désigne une personne dont il est impossible de déterminer le sexe selon son apparence. Vis-à-vis un corps indéfinissable, les notions d’hétérosexualité et d’homosexualité perdent leur sens et l’androgyne devient une cible facile pour la discrimination.
Depuis son enfance, Éric a été marginalisé en raison de son physique à la fois masculin et féminin. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare que des étrangers lui fassent des remarques négatives en public sur son apparence androgyne. Selon lui, tout ce qui diffère de l’hétérosexualité inspire la phobie, particulièrement chez les personnes androgynes ou transgenres et transsexuelles. Le jeune homme dit s’être heurté à maintes reprises à une fermeture sur le marché du travail. Afin de ne pas devoir se justifier continuellement, en raison de son apparence, il travaille aujourd’hui à contrats en musique et en traduction, en plus d’étudier à temps partiel en littérature anglaise à McGill. «Je reçois toujours un traitement différent, que ce soit au travail, à l’université ou dans un bar, déplore-t-il. La société ne tolère pas bien la diversité, surtout par rapport aux différences physiques.»
Le caractère indéfinissable de l’androgynie peut causer une peur chez certaines personnes confrontées à leur propre identité, explique Tamara Ginn, stagiaire chez l’organisme Alter-Héros, qui vient en aide à la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transsexuelle (LGBT). L’inexistence d’un troisième sexe rend difficile l’acceptation d’une réelle diversité sexuelle. «Une personne peut avoir une phobie de l’androgynie, mais pas de l’homosexualité», nuance la finissante en sexologie à l’UQAM.
Les étrangers ne se gênent pas pour contredire, voire brutaliser Éric lorsque celui-ci fait le point sur son identité sexuelle. Lors d’une soirée dans un bar, alors qu’il fume sur la terrasse, Éric entame la conversation avec deux hommes, dont l’un semble le prendre pour une jeune fille attrayante. Lorsqu’Éric réplique, l’homme lui saisit directement l’entre-jambe, «pour vérifier».
L’auxiliaire à la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’UQAM, Marilyne Chevrier, explique que cette discrimination est basée sur la non-conformité au genre. «La violence est basée sur le simple fait qu’un gars a l’air plus efféminé que la norme, illustre-t-elle. L’un des grands constats qu’on a fait c’est que les jeunes associent la différence physique, appelée non-conformité au genre, à une orientation sexuelle différente.» La jeune chercheure cite à l’exemple une étude publiée en 2011 par la Chaire de recherche contre l’homophobie, à laquelle elle a collaboré. Celle-ci démontre que 8% des 2 000 élèves du secondaire sondés déclarent avoir une sexualité homosexuelle, bisexuelle ou être en questionnement, tandis que 38,6% des élèves se disent victimes de violence homophobe.
Certaines personnes revendiquent de ne pas se classer dans la case homme ou femme, explique Marilyne Chevrier. «Certains font des pressions et des démarches pour qu’on n’ait plus à cocher un sexe sur les formulaires d’identité», continue-t-elle. Éric ajoute pour sa part que la Charte des droits et libertés n’est pas adaptée aux cas comme le sien, où la personne s’identifie à un sexe différent du sien. Selon lui, il n’est plus pertinent d’indiquer son sexe, car cette information ne donne aucune information concrète quant à l’identité réelle d’une personne.
Le petit coin problématique
Le simple fait d’utiliser la toilette devient un périple pour les personnes au physique androgyne. «Je reçois des regards spéciaux et des commentaires, admet Éric. Souvent, on me demande ce que je fais là.» Pour pallier à ce problème, plusieurs établissements dont le bar de la communauté gaie Royal Phoenix, dans le Mile-End, offre quant à lui une seule toilette mixte, afin d’enrayer le malaise que suscite la banale visite au petit coin.
Malgré les progrès faits, tous ne veulent pas assumer une étiquette. «Autant certains revendiquent leur identité, autant d’autres veulent mener leur vie sans qu’on les enferme dans une catégorie», expose Marilyne Chevrier. Afin d’assurer la paix d’esprit aux étudiants à qui la visite aux toilettes pose problème, l’association Queer McGill a pu faire construire en 2004 des toilettes mixtes dans le pavillon Shatner, sur la rue McTavish.
S’entourant de personnes ouvertes d’esprit, Éric souhaite plus que tout pouvoir mener une vie normale. Pour lui, celle-ci commencerait avec la petite victoire de pouvoir pousser la porte d’une salle de bain dans l’anonymat.
*Nom fictif
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En sexe et en genre
Le mouvement queer a pris ses racines dans les années 80, dans la foulée de la revendication des droits des homosexuels. Le mot queer, utilisé pour insulter ces derniers, a été repris par la communauté LGBT pour revendiquer ses propres droits, à la manière des noirs qui ont récupéré l’insulte «nègre». La communauté queer luttait à l’origine pour que l’homosexualité, la bisexualité et la transsexualité ne soient plus considérées comme une maladie dans le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie.
Photo: Dotpolka, Flickr
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