Quatre-vingts ans et toutes ses dents

Quatre-vingts ans et toutes ses dents C’est la nuit, j’ai huit ou neuf ans et j’ai peur. Trois soirs de suite que je me réveille en nage, trois cauchemars surréalistes mettant en vedette des lamas cracheurs, une momie prostrée et des Incas hargneux. Je viens de terminer la lecture de Les aventures de Tintin: Les Sept Boules de cristal et je n’en mène pas large. Je vois la momie partout; bref, Rascar Capac m’obsède.


J’ai relu cette bande dessinée au moins dix fois depuis, et la version animée – mise en musique par Jacques Brel, excusez du peu – a achevé ma réconciliation avec la terrible momie. Peu à peu, j’ai préféré à Tintin, trop propre, trop correct, les aventures de Spirou et Fantasio et leur délicieuse délinquance, et celles de Gaston le héros sans emploi. Tintin demeure toutefois mon premier et inoubliable contact avec la bande dessinée franco-belge.

 

Alors quand il a soufflé la semaine dernière ses 80 bougies, la houppette haute, les bas de golf et le pantalon d’équitation intacts, je n’ai pu que saluer la longévité du héros et son statut de géant du neuvième art, et je n’étais pas la seule.

 

Quatre-vingts ans se sont écoulés depuis la première parution des aventures du reporter improductif – il n’a écrit que deux articles en huit décennies – dans le quotidien catholique et moralisateur le Vingtième Siècle. Quatre-vingts ans de voyages exotiques, de rencontres improbables qui n’ont pas continué après la mort d’Hergé, sauf sous la forme d’une série animée étroitement supervisée par sa succession (et en 2010, sous celle d’un long métrage réalisé par nul autre que Steven Spielberg).

 

Ces aventures font pourtant parler. Les débats sur le racisme, le colonialisme et l’orientation sexuelle sont presque aussi vieux que le personnage créé par Georges Rémi (GR – RG – Hergé). Tintin au Congo et son portrait stéréotypé des Noirs faisaient déjà hurler lorsque j’étais petite. Je me demandais même si j’avais le droit d’aimer ce héros auquel on prêtait tant de défauts, du racisme au machisme en passant par le fascisme et la  défense de la suprématie blanche. 

 

L’auteur des aventures du blondinet asexué a souvent dû monter aux barricades et défendre sa vision du héros, qu’il a voulu immaculé, volontaire et candide, à l’image du jeune scout qui l’aurait inspiré. J’ai donc failli m’étouffer avec mon café en voyant réapparaître, surfant sur la vague des célébrations en l’honneur de l’octogénaire, la fameuse hypothèse de l’homosexualité de Tintin. «Bien sûr que Tintin est gai, demandez à Milou», s’exclamait le 7 janvier Matthew Parris, chroniqueur au quotidien britannique Times et fan de Tintin. Vivant avec un marin entre deux âges, fréquentant peu de femmes – les tintinologues zélés en ont compté huit, aucune n’étant vraiment attirante – dévoué à son chien et à son ami Tchang, Tintin est indubitablement, définitivement, quadruplement gai, croit Parris. Qui plus est, le pseudo-reporter aurait en fait été un espion déguisé. À preuve, «et l’espionnage Anglais le confirmera, les services secrets ont toujours attiré les hommes gais. J’ai moi-même appliqué, et reçu une offre pour un poste dans le MI6», explique le pince-sans-rire.

 

Rigolote, bien documentée, la chronique de Parris a fait le tour des médias à la vitesse de l’éclair. Elle m’a fait sourire et surtout, courir vers mes recueils pour vérifier certains détails. Je n’y ai pas trouvé la preuve indubitable de l’orientation sexuelle du jeune globe-trotter, mais Les Sept Boules de cristal m’ont rappelé la fascination que j’éprouvais pour cette histoire en particulier. Et drôle de clin d’œil du destin, les articles sur les 80 ans de Tintin m’ont menée à un groupe Facebook – 1556 inscrits – intitulé: «J’ai été traumatisé(e) par la momie dans les Sept Boules de cristal». J’en ris encore.

 

Bon anniversaire, Tintin, et rendez-vous à la prochaine controverse! 

 

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