Voyager léger

En prenant le métro avec André Beauchamp, président de l’organisme Aide aux personnes obèses handicapées du Québec (APOHQ), en novembre dernier pour la une de ce journal, je me sentais – littéralement – petite dans mes baskets. Chaque obstacle aux personnes obèses ou handicapées, que ce soit l’étroitesse des sièges des wagons, l’absence d’escaliers roulants ou d’écrans affichant les stations pour les malentendants, passait dans son radar, alors que le mien, habitué à de bonnes jambes et à des sens affûtés, n’avait jamais remarqué de telles aberrations.

Inconfortablement assis sur un des sièges de wagon de la ligne verte (à 300 livres, je vous laisse imaginer où va se loger la charmante bosse au milieu du siège), André Beauchamp me faisait remarquer que pour prendre l’avion, une personne comme lui devait généralement débourser 50% de plus qu’un personne dite «normale», sans pour autant bénéficier des services offerts par les compagnies aériennes. En effet, ne pouvant occuper un siège de classe économique, en raison de son étroitesse, les personnes obèses qui ont à se déplacer par les airs doivent souvent se résoudre à voyager en première classe, où les sièges sont plus larges. Quant à aller au petit coin, on n’y pense même pas. Cela relève de la science-fiction.

Dans un arrêt rendu le 20 novembre (un peu après notre balade direction Honoré-Beaugrand), la Cour suprême du Canada refusait aux deux principales compagnies aériennes canadiennes, Air Canada et WestJet, d’en appeler de l’ordre de l’Office des transports du Canada (OTC) de se conformer, pour janvier 2009, à la politique «une personne, un tarif». Cette politique – il était temps – stipulait que les transporteurs aériens canadiens ne pourraient plus exiger, à partir du 10 janvier 2009, des frais supplémentaires pour les personnes souffrant d’une déficience ou d’un handicap et ayant besoin d’une place additionnelle pour un accompagnateur, un fauteuil roulant ou un grave surplus de poids, mais seulement pour les vols intérieurs. Une politique qui toucherait plus de 80 000 personnes annuellement. Un pas important pour les personnes dont André Beauchamp défend les intérêts.

 

Le coût estimé de cette politique anti-discrimination? 7,1 millions de dollars pour Air Canada et  1,5 M $ pour WestJet. De quoi vouloir demander appel…

Si les deux transporteurs semblaient finalement s’être soumis à la décision de la Cour suprême – pas trop le choix – elles n’avaient cependant pas dit leur dernier mot. Le 8 janvier dernier, Air Canada, suivie de près par WestJet, annonçait que pour être admissible à la fameuse politique «une personne, un tarif», il faudrait présenter un certificat médical attestant d’un handicap, du besoin d’un accompagnateur ou d’une obésité empêchant de s’asseoir aisément dans un siège d’aéronef. Une fois le certificat obtenu, le personnel infirmier des compagnies aériennes pourrait examiner la demande, téléphoner au médecin pour plus d’information et éventuellement accepter ou refuser la demande.

Euh… le formulaire A-38 des Douzes travaux d’Astérix, vous connaissez? De quoi rendre zinzin. Même les médecins ont trouvé cela farfelu. «La question de savoir si une personne peut ou ne peut pas s’asseoir dans un siège en raison de son obésité n’a pas besoin d’être déterminée par un médecin», a déclaré le Dr Robert Ouellet, président de l’Association médicale canadienne (AMC), par voie de communiqué. Selon lui, non seulement Air Canada et WestJet n’ont pas tenu compte du fait que les trop peu nombreux professionnels de la santé sont déjà submergés par des demandes d’attestation médicale en tout genre, mais ils ont tenté de refiler aux médecins une responsabilité reposant sur des enjeux purement commerciaux. Et pour la lutte à la discrimination, on repassera. On enlève les frais d’un côté pour ajouter des heures et des heures d’attente de l’autre. Le temps, c’est de l’argent.

L’AMC doit écrire prochainement aux deux transporteurs aériens afin de leur demander de réviser leur décision concernant les certificats médicaux. Cependant, avec le contexte économique actuel et les difficultés financières éprouvées par le monde du transport aérien, Air Canada et WestJet seront peut-être tentés de faire la sourde oreille. Après tout, voyager léger n’est-il pas toujours plus économique?

societe.campus@uqam.ca

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