Urgences engorgées, pénurie de main d’œuvre qualifiée, manque cruel de lits et de financement, infrastructures vieillissantes et employés exténués: voilà l’héritage d’un système de santé gratuit, accessible depuis 1970 grâce à la carte soleil, bébé du ministre de la Santé de l’époque, Claude Castonguay.
La beauté du service gratuit est que les gens n’ont pas peur de l’utiliser, avec son lot d’avantages pour la santé collective, mais aussi son lot d’abus et d’inconvénients. Conséquence: une partie de la population, rebutée par les listes d’attente et les chambres bondées, change de vitesse et embraye en deuxième, celle du privé, un service dont on vante la performance et où le patient qui est prêt à payer peut être soigné avec rapidité et confort. Là où le bât blesse, c’est que la deuxième vitesse, en plus d’être attirante pour les patients, l’est encore plus pour le personnel médical, dont les conditions de travail s’améliorent de façon exponentielle avec celle-ci. Le privé draine les ressources du public, dont le but premier, sans être sérieusement compromis, est bigrement plus difficile à atteindre.
Et l’éducation. On le voit chaque année avec la course aux examens d’admission dans les établissements secondaires: les gens se battent pour que leur pré-ado ait sa place dans un établissement «bœuf Angus AAA», loin des bibliothèques défraîchies du public et des salles de classe bondées où les troubles de comportement côtoient les troubles d’apprentissage, mais Ô combien plus près d’une équipe professorale soigneusement sélectionnée – souvent parmi les meilleures têtes du public – par une direction soucieuse d’excellence et de performance.
Transports en commun? La gratuité est difficile à concevoir, surtout dans une ville de l’ampleur de Montréal. On imagine facilement la scène. Gratuité oblige, l’achalandage du réseau de la Société de transport métropolitaine (STM) augmenterait en flèche. Les autobus et wagons de métro, déjà bondés, deviendraient invivables.
Parenthèse: même avec les hausses de tarifs, l’achalandage de la STM a augmenté de 4% pour la période de janvier à juin 2008, ce qui est énorme selon Isabelle Tremblay, des affaires publiques de la STM.
Privée de revenu des titres de transport, qui constituent 47% de ses recettes annuelles, la STM ne serait pas en mesure d’acheter les autobus supplémentaires nécessaires, de rénover les wagons de métro existants et de payer les employés essentiels à cette hausse d’achalandage. On imagine déjà le déficit de la STM enfler – il atteignait cette année 28 millions de dollars courants, alors que la dette brute totale (excluant les trains de banlieue) se chiffrait à 1,301 milliards.
L’engouement pour la nouveauté passé, certains utilisateurs, rebutés par la foule et les pannes éventuellement plus fréquentes du service dues à la vétusté des équipements, mais aussi attirés par une fluidité accrue de la circulation, pourraient être tentés de choisir la deuxième vitesse: l’automobile.
Sherbrooke a eu ce débat cet été. Une étude sur la question, commandée à un consultant français par la Société de transport de Sherbrooke (STS), concluait que le coût de la gratuité était trop élevé pour être attrayant. Ou bien la Ville en assumait complètement les coûts via les taxes foncières (un surcoût annuel pour les contribuables de 700$ pour une maison de 200 000$), ou bien la STS gardait le même budget et voyait son service se dégrader, rendant l’automobile encore plus attrayante, comme cela s’est passé à Colomiers, au sud de la France. Autre possibilité: taxer les entreprises de la municipalité. Verdict: l’idée de la gratuité a été enterrée.
Aucun service public n’est rentable. Et le public attire nécessairement le privé. Difficile d’être contre la vertu, mais cette dernière a ses limites, surtout dans un véhicule ou la deuxième vitesse, plus efficace et performante, n’est jamais très loin de la première, dont elle utilise les meilleurs attributs – et les défauts – pour se distinguer.
Caroline Chrétien
societe.campus@uqam.ca
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