Le Parti conservateur du Canada a déployé des moyens considérables afin d’empêcher les journalistes du pays de réaliser une couverture adéquate de leur premier congrès d’orientation en plus de trois ans, qui se tenait du 13 au 15 novembre à Winnipeg. Les journalistes n’ont en effet pas eu le droit d’assister aux nombreux débats, tables rondes et votes sur des projets de résolution qui se sont déroulés durant ces trois jours. C’est pourtant la norme pour tous les partis canadiens de laisser, non seulement les représentants des médias, mais même ceux des autres formations politiques assister à ce genre d’événement. Les congrès sont en effet éminemment publics puisqu’ils constituent en principe la base du dispositif législatif que les partis politiques tenteront de mettre en œuvre lorsqu’ils seront représentés dans un des parlements du pays.
Les militants du parti dirigé par Stephen Harper auraient, selon une source anonyme citée par un quotidien national, profité de leurs délibérations secrètes pour approuver une résolution invitant les députés conservateurs à ramener à l’ordre du jour de la Chambre des communes le projet de loi prévoyant une double peine d’emprisonnement pour les criminels reconnus coupables d’homicide sur la personne d’une femme enceinte. Lors de son dépôt en Chambre avant le déclenchement des élections cet automne, ce projet de loi avait été décrié, à juste titre, comme une façon sournoise d’accorder des droits au fœtus, ouvrant ainsi par la petite porte le débat sur le droit des Canadiennes de choisir d’interrompre ou non leur grossesse.
Au-delà de l’aspect odieux d’une telle loi sur la santé publique et les droits des femmes, le fait que les Conservateurs se concentrent sur un sujet aussi prioritaire pour le pays que celui du meurtre de femmes enceintes, qui sont rarissimes et pour lesquels les peines parmi les plus sévères du Code criminel sont de toute façon prévues, démontre encore une fois toute la puérilité du discours conservateur canadien. Puéril et malhonnête, puisqu’il transforme substantiellement le rôle de l’État en cachette (baisses d’impôts et de taxes de toutes sortes, dépenses militaires accrues, restrictions draconiennes du droit du public à l’information), en mettant à l’avant-plan du débat politique des enjeux moraux comme celui dont il était précédemment question. Les Conservateurs ont donc eu leur petit après-midi de rectitude morale, alors que le pays est au bord d’une crise économique aux effets appréhendés désastreux.
D’ailleurs, la situation semble assez grave au Premier ministre pour qu’il s’éclipse rapidement du congrès de son parti afin d’aller rejoindre les autres chefs d’État représentés à la rencontre extraordinaire qui s’est tenue à Washington le week-end dernier pour tenter de trouver des solutions mondiales aux crises financière et économique actuelles. Avant de partir, il a tout de même pris soin de tenir sa conférence de presse durant la pause des délégués du parti, question que les journalistes soient trop occupés pour tenter d’aller leur poser des questions sur la nature de leurs travaux.
La société distincte ne fait pas exception
Se concentrer sur des enjeux secondaires, frivoles ou idiots alors qu’il y a des problèmes gigantesques et urgents à régler n’est pas que l’apanage des conservateurs canadiens. Ceux du Québec y excellent aussi, comme le démontre la campagne électorale qui se déroule actuellement dans la province. Ainsi, Mario Dumont a débuté la deuxième semaine de cette campagne en s’égosillant sur les effets terribles qu’aurait le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse, offert depuis septembre à tous les écoliers de la province, sur la culture québécoise. Soit, l’apprentissage à des bambins des grandes traditions religieuses de l’humanité, alors qu’elles sont incomprises par une écrasante majorité d’adultes, incluant ceux qui sont instruits, soulève de nombreuses questions sur la pertinence d’un projet pédagogique de cette envergure dans un système scolaire qui peine à diplômer la moitié des enfants qui le fréquentent. Mais qualifier les pédagogues et les politiciens à l’origine du cours de «gens qui veulent retirer le sapin de noël et les lapins de pâques des écoles», ne constitue pas une façon particulièrement intelligente d’aborder le problème. Tout comme le fait de qualifier les services de garde subventionnés, une des plus grandes réalisations de l’État québécois malgré les lourdes difficultés d’accès au service qui persistent, de «carcan libéralo-péquiste». Ce genre d’inepties justifie à lui seul le départ annoncé du seul député adéquiste jouissant d’une véritable crédibilité, l’ancien président du Conseil du patronat du Québec, Gilles Taillon, parti se suicider électoralement dans un château fort libéral imprenable de la région de l’Outaouais.
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Les autres partis politiques québécois sont loin de faire rêver. Il semble à l’auteur de ces lignes que le débat politique au Québec n’ait jamais été aussi superficiel. À considérer la timidité des propositions des différentes formations, l’électeur a parfois l’impression d’assister à une grosse élection municipale. Dommage, car les grands enjeux sociétaux auxquels est confronté le Québec, tels la pauvreté, l’intégration des immigrants et l’éducation supérieure, n’ont pas disparu au cours de la dernière année.
redacteur.campus@uqam.ca
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