Stéphane Lafleur : Continental, un film sans prétention

 

 

Stéphane Lafleur est entré par la grande porte dans le milieu cinématographique québécois en 2007. Son premier long-métrage, Continental, un film sans fusil, a raflé quatre prix Jutra. Entretien avec un réalisateur d’un film à petit déploiement qui a eu de grandes répercussions.

Stéphane Lafleur est un gars ordinaire, à l’image des personnages de Continental, un film sans fusil. Quand une journaliste de La Presse lui a annoncé qu’il était choisi comme Personnalité de la semaine, il a eu de la difficulté à comprendre. «Je lui ai dit: “Ah! Vous êtes mal prise et n’avez trouvé personne d’autre?” Je croyais qu’il y avait des gens qui faisaient des choses plus importantes que moi.»
Pourtant, peu de cinéastes de 30 ans ont une feuille de route aussi dorée. Continental est découvert à la Mostra de Venise. Il est ensuite consacré au Festival de Toronto, où il remporte le prix du meilleur premier long-métrage canadien. Continental obtient aussi le Bayard d’or du meilleur film à Namur en Belgique et le prix de la meilleure production canadienne à Whistler. De retour au bercail, Stéphane Lafleur empoche la récompense suprême aux Rendez-vous du Cinéma québécois. Pour couronner le tout, il double Denys Arcand, Bernard Émond et Fernand Dansereau pour le Jutra du meilleur réalisateur. Un trophée qu’il va chercher en se sentant «comme un ti-cul».
Malgré les honneurs, Stéphane Lafleur garde la tête froide. «Faire un film c’est le plus gros trip d’ego que tu peux te payer dans la vie. Tu mobilises une cinquantaine de personnes autour de ta vision. C’est très facile d’avoir l’impression que l’univers tourne autour de toi, alors que ce n’est pas du tout le cas.»

Un ti-cul de banlieue
La modestie du cinéaste s’explique selon lui par une enfance sans histoire à Saint-Jérôme, entre la piscine hors terre et la tondeuse de ses parents. Stéphane Lafleur décide de se diriger vers le septième art lorsqu’il visionne le film Léolo, du défunt réalisateur Jean-Claude Lauzon. Il décroche son baccalauréat en communications, profil cinéma à l’UQAM en 1998. Stéphane Lafleur panique quand il se rend compte qu’une décennie s’est écoulée depuis qu’il a obtenu son diplôme. «J’ai mille ans! s’exclame-t-il en devenant tout rouge. Ça a passé tellement vite, ça doit vouloir dire que j’ai eu du fun.»
En janvier 1999, Stéphane Lafleur et ses amis se mettent au défi de produire un court-métrage par mois, avec le minimum de moyens, jusqu’au bogue de l’an 2000. Comme la fin du monde n’a pas eu lieu, les jeunes réalisateurs ont continué de faire des films, et ont donné naissance au mouvement Kino. Depuis, le groupuscule a grandi à Montréal et s’est propagé sur quatre continents.
Stéphane Lafleur délaisse peu à peu ce projet et se consacre à l’art du montage. Il a notamment travaillé pour Les Francs-Tireurs et François en série. Il a aussi laissé sa marque dans de nombreux documentaires et vidéoclips. De plus, il est chanteur et guitariste du groupe de country-folk francophone Avec pas d’casque.
Malgré ses expériences variées, Stéphane Lafleur aborde son premier long-métrage avec beaucoup d’incertitude. «Continental a été filmé en 28 jours. Le tournage le plus long que j’avais dirigé avant n’avait duré que trois jours. J’étais vraiment la personne la moins expérimentée sur le plateau.»

Sociologue du grand écran
La scène d’ouverture de Continental trottait dans la tête du cinéaste à la barbe rousse depuis plusieurs années. On y voit un homme impassible dans un autobus, la nuit. Celui-ci descend du véhicule, puis s’évapore dans la forêt. Le long-métrage est l’histoire de quatre personnages qui gravitent autour du disparu: sa femme qui l’attend, un vendeur d’assurances qui le remplace au boulot, une réceptionniste d’hôtel qui rêve d’amour et un brocanteur joueur compulsif. Ils vivent tous leur vie en parallèle, sans se toucher, un peu comme des danseurs de continental. «C’est peut-être une métaphore à cinq cennes, mais je trouvais que ça allait bien avec mon film.»
Saxophoniste dans un orchestre au secondaire, Stéphane Lafleur a participé à de nombreuses soirées dansantes dans des sous-sols d’église de sa région. «J’ai toujours été fasciné par la danse sociale, sûrement parce que je n’ai jamais réussi à en faire, blague-t-il. Les gens qui savent comment danser le continental ne pensent même plus à leurs pas. Ils sont en transe et en introspection. Ils sont neutres et complètement dans leur tête.»
Les quatre personnages de Continental sont le fruit d’une observation aiguë des contemporains du réalisateur. «Parfois des choses se passent dans ta vie et tu te dis que c’est une scène de film. Je note tous ces moments et je les place dans mon scénario.»
Cette collection de petits moments se déroule dans une banlieue anonyme. Centres commerciaux, bungalows et comptoirs de beignes défilent dans des plans fixes, ponctués de touches d’orgue rétro et de musique planante. Les objets ont aussi une grande importance dans Continental. Stéphane Lafleur a mis en scène des objets désuets, à la limite du kitch, comme un support à cravate électrique, un répondeur à rubans, un lit d’eau et une machine à arachides.
Le cinéaste travaille déjà à sa deuxième oeuvre. «Continental est terminé pour moi depuis juin dernier. J’avais déjà la tête dans un autre projet avant que le film ne soit présenté à Venise.» Il ne se formalise pas des attentes provoquées par la pléthore de récompenses qu’a reçues son premier long-métrage. «Personne ne s’endort le soir les poings serrés en se disant: “J’ai hâte à son prochain film!”, ironise-t-il. J’ai compris que je ne peux pas plaire à tout le monde, et je vis bien avec ça. L’aventure de Continental m’a appris que la clé était de me faire confiance.»

 

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