Fini les maux de tête, la charge mentale et le stress, l’intelligence artificielle (IA) propose de réfléchir pour moi et je dois avouer que je trouve de plus en plus difficile de résister à la tentation d’en faire usage.
Est-ce que je deviens paresseuse? Certes, j’ai toujours eu un penchant pour l’oisiveté, mais, maintenant, avec de nouveaux outils pour me faciliter la vie à portée de main, je délègue de plus en plus ma charge mentale à ces machines. Et cette facilité a un coût. À travers le monde, des scientifiques dénoncent le délestage cognitif qu’encourage l’utilisation de l’IA.
Au Pakistan et en Chine, des équipes de recherche ont trouvé que la dépendance à l’IA engendre de la paresse intellectuelle chez les étudiant(e)s universitaires, peut-on lire dans la revue scientifique Humanities and Social Sciences Communications. D’autres recherches, notamment une étude suisse, suggèrent que les individus qui dépendent fortement des outils automatisés pourraient avoir de la difficulté à réfléchir de manière autonome.
Si l’évitement des lectures scolaires est loin d’être un phénomène nouveau, les méthodes de contournement ont changé, selon Fanny Joussemet, professeure en sociologie au cégep de Saint-Laurent.
Plus de 70 % des étudiant(e)s universitaires sondé(e)s dans le cadre d’un rapport du Pôle interordres de Montréal publié en juillet dernier utilisaient l’IA générative dans le cadre de leurs travaux scolaires.
Résister la tentation
S’il est tentant de demander à ChatGPT de faire ses lectures, par souci d’efficacité ou de facilité, est-ce que ça ne va pas à l’encontre des principes fondamentaux de l’éducation supérieure, tels que l’esprit critique, l’autonomie et l’intégrité intellectuelle?
Mme Joussemet estime que si l’étudiant(e) confie l’entièreté de ses tâches à ChatGPT, il ou elle risque de ne pas acquérir la compétence visée pour son cours. À quoi bon remettre un bon travail avec l’aide de l’IA si on n’a pas intégré soi-même la matière?
Elle s’inquiète que l’IA devienne notre premier recours. Et moi aussi. « [On] ne va plus sur Google, consulter des livres ou son professeur, on se tourne directement vers l’outil. Donc, ça devient vraiment un réflexe du quotidien », dit la professeure.
Bien qu’il soit important de mettre en lumière la menace à la pensée critique que présente l’IA, la solution n’est pas d’humilier ses utilisateurs et utilisatrices. Pour Mme Joussemet, cela pourrait au contraire avoir l’effet pernicieux de les pousser à cacher leur utilisation de cette technologie. Elle soutient qu’on ne peut pas blâmer les étudiant(e)s pour leur mauvais usage de l’IA tant qu’on ne leur montre pas comment bien l’utiliser.
Manque de littératie technologique
Ce manque de littératie technologique, c’est précisément ce que cible le marketing des entreprises d’IA. Selon la littérature sur le sujet, « les plus susceptibles d’adhérer à l’IA pleinement, de l’épouser à bras-le-corps, ce sont les personnes qui ne sont pas du tout éduquées à son sujet », explique Mme Joussemet.
Pourtant, cette éducation semble se construire beaucoup moins vite que le développement de l’IA. Ce n’est qu’en août dernier, soit plus de trois ans après la démocratisation de ChatGPT, que le gouvernement québécois a dévoilé un guide pratique de l’IA en enseignement supérieur.
Quelques outils de formation à l’usage critique de l’IA générative dans l’enseignement supérieur, comme la trousse initIAtion, une collaboration entre le cégep Saint-Laurent et l’UQAM, existent. Pourtant, leur portée reste limitée.
En attendant que des formations plus généralisées soient implantées, nous devons rester vigilant(e)s par rapport à notre utilisation de l’intelligence artificielle. Affrontons les casse-têtes, acceptons de ne pas tout comprendre immédiatement, continuons à réfléchir malgré l’effort, faisons travailler nos neurones. Veillons à ne pas liquider notre pensée critique au profit d’une efficacité temporaire.



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