L’éducation est un droit fondamental au Canada, même en prison. La majorité des détenu(e)s au pays n’ont pas de diplôme d’études secondaires. Est-il possible de poursuivre des études en détention ? Il semble que oui, mais pas sans embûches.
Pour Marie-Soleil Vallières-Campeau, ancienne détenue, la voie des études en prison n’était pas la bonne. La jeune femme de 24 ans a écopé de 30 mois de prison pour séquestration, voies de fait avec lésion et proxénétisme en 2021. Elle avait 18 ans à son entrée en prison. Durant sa sentence, elle a tenté de compléter des crédits manquants en troisième, quatrième et cinquième secondaire afin d’obtenir son diplôme d’études secondaires (DES). En vain.
« Je ne suis pas quelqu’un qui aime aller à l’école. J’ai été prise sur le même module durant des mois, puis j’ai lâché parce que ça n’aboutissait pas », raconte Mme Vallières-Campeau, qui a séjourné à l’établissement Leclerc de Laval. Au bout de cinq mois d’études, elle a préféré aller travailler à la buanderie de la prison.
« Ce n’est pas facile parce que tu es toute seule. Tu as ton module, ton cahier devant toi, tu réponds, tu essaies de comprendre, déplore l’ex-détenue, qui a aussi un TDAH. Le professeur en avant, c’est un professeur de milieu carcéral, donc c’est “Pose-moi le moins de questions possible, puis ça va être mieux comme ça”. »
« Il y a [certain(e)s détenu(e)s] qui se rendent quand même loin, mais ça prend de la détermination. C’est quelque chose que je n’avais pas », soulève-t-elle.
Motivations différentes
« La plupart des personnes incarcérées veulent aller à l’école pour sortir de leur aile, se désennuyer, sortir de cet environnement-là qui est très anxiogène et difficile », explique Frédérick Armstrong, cotitulaire de la Chaire UNESCO de recherche appliquée pour l’éducation en prison.
Selon Marie-Soleil Vallières-Campeau, la rémunération offerte par les services correctionnels pousse certain(e)s à aller à l’école. « C’est plate à dire, mais on va à [l’école en prison] pour l’argent que ça nous rapporte. [Le service correctionnel] nous paye pour aller là. On n’a pas vraiment de motivation. Les gens qui n’ont pas de motivation, ils y vont pour la paie. »
Les détenu(e)s reçoivent ce salaire lorsqu’ils et elles vont à l’école ou au travail. Par exemple, au provincial, le salaire offert aux détenu(e)s provinciaux ayant un emploi est de 5,51 $ de l’heure. S’ils choisissent d’aller à l’école, ils ont une allocation de 5 à 7 $ par jour. Au fédéral, cette rétribution va jusqu’à un maximum de 34,50 $ par semaine pour leur participation aux programmes d’éducation ou d’emploi, affirme Service correctionnel Canada (SCC).
Une éducation à deux volets
Au Canada, l’éducation en milieu carcéral est perçue comme une voie vers la réinsertion sociale. Les services correctionnels canadiens et québécois privilégient l’éducation présecondaire et secondaire, ainsi que les formations favorisant l’intégration au marché du travail.
Seules les prisons fédérales de Joliette et de Cowansville offrent une éducation collégiale entre leurs murs. Selon le SCC, les détenu(e)s peuvent aussi suivre des cours collégiaux par correspondance. Il est difficile d’offrir une éducation postsecondaire au provincial, le séjour moyen d’un(e) détenu(e) étant de 66 jours dans ces établissements, selon Frédérick Armstrong.
« Près de 80 % des détenus [des prisons provinciales] n’ont pas fini leur secondaire 5 », explique Marc-André Lacelle, conseiller au développement et à la recherche à la Chaire UNESCO de recherche appliquée pour l’éducation en prison. Environ 60 % d’entre eux et elles ont abandonné les études avant le secondaire 4 et seulement 10 % ont entamé le cégep, poursuit-il.
Au fédéral, 54 % des détenu(e)s « n’ont pas fréquenté le secondaire 4 », écrivait l’enquêteur correctionnel Ivan Zinger dans son rapport annuel de 2019-2020.
« Il y a beaucoup d’emplois qui sont offerts [en prison], notamment à la buanderie, à la cuisine et à l’entretien ménager. Les heures peuvent être reconnues comme faisant partie d’une formation en métier semi-spécialisé », relate Frédérick Armstrong.
Ailleurs au Canada, les détenu(e)s peuvent obtenir des crédits universitaires en participant à des ateliers avec des étudiant(e)s universitaires ou collégiaux, avec l’initiative Walls to Bridges. MM. Armstrong et Lacelle ne savent pas pourquoi il n’y a pas d’équivalent au Québec. Sur ce point, le SCC s’est dit « ouvert à collaborer avec ses partenaires pour rendre l’éducation postsecondaire davantage accessible, et ce, dans l’ensemble de ses régions ».
En 1993, SCC a aboli tous les programmes universitaires présents dans les établissements carcéraux, invoquant les coûts engendrés.
Enjeux et programmes insuffisants
Selon M. Armstrong et Lacelle, étudier en milieu carcéral n’est pas simple. Les transferts entre établissements, la cote de sécurité des détenu(e)s, les troubles d’apprentissage ou les altercations entre détenu(e)s peuvent affecter le déroulement des études. L’accès au matériel scolaire, comme les crayons, les livres et les technologies, est aussi complexe pour des raisons de sécurité.
Par exemple, dans certains établissements, il est impossible d’avoir un crayon dans sa cellule, car « le graphite peut être utilisé pour allumer des cigarettes ou des choses qui se fument », rapporte M. Armstrong. « Apparemment, le graphite fait des flammèches quand on le met dans une prise de courant. »
Une étude menée par Frédérick Armstrong et Lyne Bisson de la Chaire UNESCO révélait en 2024 que les programmes d’éducation dans les établissements provinciaux étaient « insuffisants », considérant les besoins élevés.
Au fédéral, dans son rapport annuel de 2019-2020, l’enquêteur correctionnel Ivan Zinger conclut que « les détenus [fédéraux] n’acquièrent pas les aptitudes nécessaires dans l’économie d’aujourd’hui », un DES n’étant pas suffisant pour dénicher un emploi « stable et intéressant ».
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