En continuant de consommer les produits culturels américains, on laisse libre cours au soft power de nos voisins du Sud, aux dépens de notre propre identité, de notre propre histoire. Tout ça, au nom d’une illusion de plaisir qui ne nous apporte, en fait, pas grand-chose.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump le 20 janvier dernier, et avec tout ce qu’il s’est passé depuis avec la guerre commerciale et les menaces d’annexion, un sentiment de honte s’empare de moi chaque fois que j’utilise Netflix, Amazon Prime ou Apple Music.
Toutes ces plateformes, originaires des États-Unis, ont (trop) longtemps été des premiers choix en matière de consommation de contenu culturel. Je sais que je ne suis pas la seule à me sentir déchirée entre boycotter ces produits et les garder pour satisfaire mon propre plaisir.
Difficile de se détacher d’une entité qui prend tellement de place sur la scène culturelle, particulièrement en ligne ! Mais les circonstances parlent d’elles-mêmes : on ne peut tenir tête au géant américain tout en l’encourageant à coups d’abonnements.
On ouvre grand nos portefeuilles au vieux bonhomme orange et aux autres milliardaires de la tech américaine, mais, « tout ce qui va nous rester, c’est de consommer des produits faits ailleurs, qui nous relatent des valeurs avec lesquelles on n’est pas d’accord », explique Jean-Marie Lafortune, professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQAM et expert en action culturelle.
En effet, comme il le dit si bien : « la culture devrait nous permettre de mieux nous comprendre nous-mêmes et [de] mieux comprendre le monde ».
Comme l’explique M. Lafortune, le « plaisir » qu’on ressent en consommant le contenu de ces mégaplateformes émane plus du fait qu’on adhère à une mode, à ce que tout le monde fait. Cela a pour effet non seulement de ne laisser place qu’aux plus gros joueurs, mais aussi de noyer la culture québécoise ainsi que les arts vivants.
L’offre culturelle d’ici est faite pour nous et par nous, alors pourquoi se tourner vers une réalité qui n’est pas la nôtre en nous faisant croire que c’est une réalité qui nous appartient ? Cette question est d’autant plus importante aujourd’hui, alors qu’on sent plus que jamais l’écart entre les valeurs américaines et les nôtres.
« On est en train de dérouler le tapis rouge pour leur conquête, qui va se faire de nos esprits et de notre pays », soutient M. Lafortune.
L’abandon des arts vivants observé surtout depuis la pandémie a laissé de « mauvais plis ». D’après Jean-Marie Lafortune, on passe à côté de ce que la culture devrait être, c’est-à-dire « quelque chose de partagé, de collectif ».
Sans nécessairement boycotter totalement tout ce qui est américain, il faut consommer en étant conscient des dommages à réparer et, surtout, il faut s’adapter afin de prioriser et de se réapproprier notre culture. Il faut, comme le dit M. Lafortune, « décoloniser les esprits ».
D’après lui, le fait de « s’ouvrir à d’autres sources » ou de participer de manière engagée à la vie culturelle de chez nous est un pas dans la bonne direction.
Peut-être aussi que, si on avait nos propres plateformes, entre autres en ce qui a trait à la musique, on pourrait faire en sorte qu’au lieu de nous fanatiser devant de grandes vedettes américaines, on donne un peu de lumière aux artistes d’ici, qui gagnent à être connus.
Cela dit, je suis toujours abonnée à toutes les plateformes de contenu. Cependant, je fais un effort supplémentaire pour accorder plus d’attention au contenu d’ici.
La plateforme de diffusion canadienne Crave, qui propose une grande variété de films et de séries canadiennes et québécoises, en plus de certains contenus américains populaires comme Ru Paul’s Drag Race et Friends (à mon grand bonheur), est une bonne option pour se sentir moins coupable.
Je crois que c’est ça, la clé, et que c’est par là qu’on arrivera à se « décoloniser ». Parce qu’après tout, avec nos efforts viennent des résultats, et ce n’est pas du jour au lendemain que nous serons en mesure de défaire des décennies de dépendance à la culture américaine.
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