Jeunes adopté(e)s à l’internationalLe dilemme du retour aux sources

« J’ai toujours voulu retrouver ma mère biologique. À trois ans, je disais à mon éducatrice de garderie que j’avais deux mamans », raconte Laurianne Blouin, ancienne étudiante en travail social à l’UQAM et originaire des Philippines. Comme plusieurs, Laurianne a décidé de faire une démarche pour retrouver sa famille biologique.

En 2019, Laurianne a fait des démarches auprès du Secrétariat aux services internationaux à l’enfant (SASIE). Le 27 mai 2021, sa mère biologique l’a contactée sur Facebook. Cette date, Laurianne l’a tatouée sur le bras. Il s’agit d’un moment décisif dans sa vie.

En 2023, elle a voyagé aux Philippines pour la rencontrer. Laurianne a été adoptée dans ce pays d’Asie à l’âge de 13 mois par un couple québécois.

Les personnes adoptée)s à l’international ont souvent l’impression d’avoir une double identité. Ils et elles sont porté(e)s à vouloir combler un manque en allant chercher des réponses, explique Anne-Marie Piché, professeure à l’École de travail social de l’UQAM.

« Les questionnements par rapport à leur identité sont là depuis l’enfance. Vers le primaire, les enfants prennent plus conscience de leurs différences », soulève Mme Piché.

« Depuis 2018, il y a plus de 90 000 personnes [québécoises] adoptées au Québec et à l’international qui ont fait des demandes d’informations et de retrouvailles »,ajoute-t-elle.

Un processus « bienveillant »

« Maintenant, les gens ont tendance à se tourner vers les réseaux sociaux pour accélérer le processus », souligne Lisseth Lauzon, présidente de l’organisme L’Hybridé, qui permet aux personnes adoptées de tisser des liens entre elles.

Elle est néanmoins d’avis qu’il est préférable de faire une démarche avec le SASIE pour un processus « bienveillant », qui respecte le rythme des deux parties. Ainsi, personne ne risque de se sentir brusqué(e), précise Mme Lauzon.

« C’est faux de penser que le service institutionnel pour faire la recherche de ses origines est coûteux », assure-t-elle. Le SASIE donne accès à des informations gratuitement tout en faisant le pont entre le pays d’accueil et le pays d’origine, spécifie la présidente de l’Hybridé.

Le SASIE met en relation l’adopté(e) avec un(e) intervenant(e) pour évaluer ses besoins. « La personne adoptée va avoir des rencontres pour préparer ses attentes, ses questionnements et ses réflexions », explique Mme Lauzon.

Dans le cas d’une demande de retrouvailles, l’intervenant(e) prépare l’individu au meilleur, mais aussi au pire, par exemple, en cas de refus de contact de la part des parents biologiques.

Le piège de l’idéalisation

« Ma mère biologique a idéalisé la rencontre avec moi »

Laurianne Blouin

« Elle avait une banderole de bienvenue et elle m’avait fait une chambre chez elle pour que je vienne m’installer pour longtemps », ajoute l’ancienne uqamienne.

« C’est important, avant de faire une démarche de retour aux origines, de bien s’entourer et surtout d’être outillé », soutient Lisseth Lauzon.

Selon elle, plusieurs personnes idéalisent les retrouvailles et se font un scénario dans leur tête.

Une quête personnelle

Laurianne n’allait pas aux Philippines dans le but d’établir une relation avec sa famille biologique, mais plutôt parce qu’elle était curieuse et qu’elle voulait avoir un contact avec ses origines.

« Outre le fait que je leur ressemble physiquement, je ne m’identifie aucunement aux gens que j’ai rencontrés aux Philippines », lâche Laurianne.

Le retour aux origines peut être interprété de manière différente chez les adopté(e)s. Pour certain(e)s, cela renvoie à une quête culturelle, par exemple, pour en apprendre plus sur la cuisine, la musique et les coutumes de leur pays d’origine, explique Lisseth Lauzon. Pour d’autres, il s’agit de retrouver leurs parents biologiques.

« Il ne faut pas oublier que, pour les adoptés à l’international, la barrière de la langue est très importante lors du premier contact », mentionne Mme Lauzon.

Un deuxième abandon?

« Pour l’instant, retrouver ma mère biologique n’est pas une priorité », raconte Rosalie Brosseau, étudiante en sciences médico-légales à l’Université de Carleton, à Ottawa. Rosalie a été adoptée en Russie à l’âge d’un an par une mère québécoise monoparentale.

« En 2016, ma sœur et moi, puisqu’on a les deux été adoptées en Russie, on devait retourner au pays avec notre mère adoptive », mentionne l’étudiante. Étant donné le climat politique instable du pays, le voyage a été reporté. Il n’a finalement jamais eu lieu, car sa mère adoptive est décédée d’un cancer en 2017.

Rosalie croit que les démarches vont être compliquées, car elle n’est pas prête à mettre tout son temps et son énergie dans celles-ci.

« Je dois faire le deuil de ma mère avant d’envisager de retrouver une étrangère et je ne suis pas prête à recevoir un refus », mentionne l’étudiante avec un trémolo dans la voix.

« Certains ont l’impression d’avoir été rejetés et ils ne veulent pas l’être une deuxième fois », ajoute la présidente de l’Hybridé.

Lisseth Lauzon explique que certain(e)s se sentent redevables vis-à-vis leurs parents adoptifs et qu’ils ou elles n’osent pas entamer des démarches par peur de les décevoir.

La professeure Anne-Marie Piché estime que, si les parents biologiques de l’enfant ne veulent pas le revoir, cela peut être vécu comme un « deuxième abandon ».

Elle indique également que plusieurs se sentent tiraillé(e)s entre leur besoin de savoir et leur attachement à leur famille adoptive.

« Je suis le résultat de l’amour de mes parents adoptifs et du sacrifice de ma mère biologique », témoigne Laurianne avec émotion.

Elle a un sentiment d’appartenance envers le Québec et se reconnaît à travers ses parents adoptifs.

« Je suis comblée, j’ai eu ma figure maternelle dans ma vie, je ne ressens pas le besoin d’en rechercher une autre », souligne, quant à elle, Rosalie.

« L’amour qu’on ressent envers une personne n’est pas nécessairement relié au sang », dit-elle, la voix tremblante.

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