Avec une hausse remarquée de l’homophobie dans les écoles secondaires en réaction à un discours « wokiste » répandu, le conservatisme gagne du terrain chez les adolescent(e)s, selon le sociologue Jacques Beauchemin.
« Chez les adolescent(e)s, entre 2017 et 2024, le niveau de malaise face à l’homosexualité de leur meilleur(e) ami(e) a doublé », explique Gabrielle Richard, directrice de la recherche chez GRIS-Montréal. L’organisme communautaire qui conscientise la population sur la diversité sexuelle et de genre a sondé 35 000 jeunes du secondaire à travers la province dans son plus récent rapport.
Claudia* est psychoéducatrice dans une école secondaire à Montréal. À plusieurs reprises, des jeunes lui ont partagé leur malaise d’exprimer leur transidentité à certain(e)s collègues de classe.
« Dans les moments de socialisation, les propos homophobes et sexistes, on les entend assez facilement, rapporte-t-elle. Et ce genre de discours, comme lorsqu’on insulte quelqu’un sur sa différence, c’est rendu décomplexé. »
Infographie : Axel Dansereau Source : GRIS-Montréal
Réactions
Jacques Beauchemin interprète ces « chiffres très élevés » comme « un recul manifeste incontestable quant à l’acceptabilité sociale des minorités sexuelles ou de genre », bien que trop peu de recherches aient été faites sur le sujet selon lui.
Selon M. Beauchemin, les jeunes du secondaire ont été socialisé(e)s dans un monde où l’homosexualité est davantage acceptée. Il croit que ces chiffres soulèvent une autre problématique que la question de la tolérance à la diversité sexuelle.
« Je pense que les statistiques montrent plutôt une réaction [des jeunes] aux excès d’un discours qui oblige à adhérer aux normes wokes, sans qu’un débat soit possible, sous peine d’être rangé parmi les rétrogrades et les transphobes. »
Jacques Beauchemin
Dominic Beaulieu-Prévost, professeur aux départements de psychologie et de sexologie de l’UQAM, croit que les liens de causalité sont « difficiles à faire » lorsqu’on parle de grands phénomènes sociaux. Il fait référence à l’actuelle « libération de la droite », à la polarisation politique et à l’intolérance rapportée par le GRIS-Montréal.
L’influence du web
Le créateur de contenu Gabriel Lebleu (@unhommesensible) a également remarqué une montée de l’homophobie en général. Des commentaires déplacés sur les réseaux sociaux, des micro-agressions, ou des réactions de surprise lorsque les gens apprennent qu’il est gai, il en voit souvent.
Face à ces chiffres, il a invité les jeunes qui se questionnent sur leur identité sexuelle et de genre à s’entourer des bonnes personnes. « Il y a dix ans, s’il y avait eu ce niveau d’intolérance face à l’homosexualité, je ne crois pas que je me serais affirmé parce qu’à cet âge, tes amis sont tes piliers », confie l’influenceur.
« Si tu as peur de faire ton coming out à tes amis par peur de jugement, tu as encore plus peur de le faire à tes parents, et ainsi de suite », déplore Gabriel.
Les jeunes ont aujourd’hui accès à du contenu sur les réseaux sociaux et des balados qui tiennent des propos haineux, masculinistes ou sexistes. En ayant toujours ces types de contenus à proximité, les jeunes les normalisent et adoptent ce genre de propos, estiment tant Claudia que M. Beaulieu-Prévost. Parmi les hypothèses avancées, GRIS-Montréal lie également la hausse de l’intolérance envers les minorités sexuelles, plus prononcée chez les jeunes hommes, à une montée du discours masculiniste et conservateur.
« [Au secondaire,] les ados sont en quête d’identité. S’ils voient que leur discours fait réagir l’autre, ils sentent qu’ils existent aux yeux de l’autre et ainsi, ils existent tout court », explique la psychoéducatrice.
« Agacés »
Le sociologue Jacques Beauchemin explique que les jeunes, consciemment ou non, ont l’impression que la société est allée trop loin dans certaines questions, comme la désignation du genre à la naissance ou les toilettes mixtes. À son avis, on donne beaucoup de place dans les médias et les débats de société à des sujets qui touchent une très petite minorité.
M. Beauchemin estime qu’une proportion croissante d’adolescents est « agacée » d’être face à une forme d’ « autosurveillance constante » et prône donc un « retour au gros bon sens ». Il affirme que ce ne sont pas nécessairement des courants traditionnellement conservateurs, mais que les partis de droite captent ces ressentiments et les ajoutent à leurs intentions politiques.
Gabriel Lebleu croit que le débat de société sur les minorités sexuelles et de genre est encore nécessaire afin de lutter contre les chiffres « épeurants » de GRIS-Montréal. « Dans ma tête, on dirait que le sujet va mourir dans une semaine, mais je trouve ça inconsolable parce que c’est littéralement la vie de jeunes qui sont en danger en ce moment », plaint-il.
À l’inverse, Jacques Beauchemin affirme qu’au Québec, « il y a une très grande ouverture à la diversité, qu’elle soit sociale, religieuse ou sexuelle, mais c’est comme si [le discours sur] cette tolérance prenait trop de place dans l’espace public » pour ces jeunes.
* Nom fictif accordé pour ne pas nuire à la pratique de l’intervenante
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