Solitude, vulnérabilité et indifférence : ces expériences sont partagés par plusieurs personnes en situation d’itinérance à Montréal, qui voient de plus en plus de leurs confrères et consœurs mourir chaque année. Elles sentent qu’un gouffre se creuse avec le reste de la population, même si elles partagent les mêmes trottoirs.
« Tu ressens l’indifférence, mais aussi du jugement, énormément […]. Il y a des gens qui ont encore de l’amour [pour les personnes itinérantes], mais, pour la majorité, ça reste de l’indifférence », raconte Sylvain Gonthier, un organisateur de la Nuit des sans-abri. M. Gonthier a lui-même vécu cinq ans à Montréal sans domicile fixe et affirme qu’arriver dans la rue, « c’est le dernier échelon de la société ».
« Je crois qu’ils ne veulent pas s’approcher de la souffrance »
Sylvain Gonthier.
Émeline Chalimon, une paire aidante du volet jeunesse de l’organisme Spectre de rue, explique que la plupart des personnes en situation d’itinérance sont conscientes de cette réalité. « Je pense qu’ils [les personnes itinérantes] remarquent que les gens les évitent, qu’ils ne leur parlent pas. Les gens les ignorent, ne leur répondent pas. »
Sylvain Gonthier a réussi à s’en sortir en 2019 et sensibilise maintenant les gens aux problèmes que vit la population itinérante de Montréal et du Québec. « [Au début], tu te sens vulnérable, tu te sens blessé, tu te sens seul et tu ne sais pas où tu t’en vas. Il n’y a rien en avant de toi », confie-t-il.
Selon Maryane Daigle, une organisatrice communautaire pour le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal , la raison derrière l’inaction de la population envers la détresse des personnes sans domicile fixe est le malaise face à la souffrance. « On a peur des personnes qu’on ne connaît pas. Souvent, les préjugés qui sont véhiculés avec l’itinérance, c’est la violence. C’est que ce sont des gens qui sont en détresse », souligne-t-elle.
« Personne n’est à l’aise. Personne n’est bien de voir quelqu’un qui souffre ou qui est en détresse », reconnaît Mme Daigle.
Deux classes sociales distinctes
Selon Mme Chalimon, ces sentiments de vulnérabilité et de solitude s’expliquent par la perception dévalorisante des personnes logées sur les personnes itinérantes qui cohabitent à Montréal. « Il y a comme un processus de déshumanisation qui se passe où les itinérants ne sont pas vraiment considérés comme des personnes civiles et ils en sont conscients. Ils ne se considèrent pas comme des citoyens. »
Guillaume Lavallée, un homme en situation d’itinérance, alterne entre la rue et la prison depuis près de 10 ans. Pour lui, « la mentalité des gens est plus grave qu’il y a 10 ans, surtout depuis les trois dernières années ». La COVID-19 pourrait, selon lui, en être la cause. La majorité des gens qui l’approche maintenant sont des personnes qui cherchent à acheter de la drogue.
« Quand on est jeune, qu’est-ce qui nous est inculqué par notre famille, par la société, par l’école? C’est qu’il y a des classes sociales et que [l’itinérance] c’est la dernière classe sociale », témoigne Sylvain Gonthier.
La population logée regarde souvent l’apparence des gens avant de les aider. « Beaucoup de personnes vont voir un itinérant couché à terre et ne rien faire, mais si c’est quelqu’un de bien habillé, par exemple, les gens vont s’inquiéter », raconte Émeline Chalimon.
Peur, ignorance et préjugés
Plusieurs raisons expliquent l’indifférence des personnes domiciliées par rapport à la détresse des personnes en situation d’itinérance. Sur les réseaux sociaux, plusieurs discours se propagent rapidement et n’aident pas nécessairement cette population dans le besoin, explique Eva Hovington, travailleuse de milieu chez Spectre de rue.
« En ce moment, on voit dans le discours public, sur les réseaux sociaux et un peu dans les médias, qu’il y a vraiment un clivage entre le “eux” et le “nous”.»
Elle ajoute qu’en raison de cette mentalité, « on perçoit vraiment les citoyens domiciliés et les personnes en situation d’itinérance comme deux catégories à part, mais qui ne sont pas si à part que ça. On cohabite tous dans un même espace de vie ».
Malgré cette séparation, Maryane Daigle tient à souligner que « ça pourrait très bien être quelqu’un que l’on connaît » et qu’il est important de faire preuve d’humanité lorsque l’on croise une personne dans le besoin.
« Moi, je fais mes affaires, mais j’essaie d’aider les autres en même temps », mentionne M. Lavallée, qui estime être plus chanceux que d’autres dans sa situation.
Un problème qui perdure
Les effets de l’itinérance au Québec peuvent se faire sentir de bien des façons. Selon le Front d’action populaire en réaménagement urbain, la crise du logement est l’une des causes les plus apparentes.
En 2023, 72 décès ont été répertoriés par le Bureau du coroner du Québec, soit presque deux fois plus qu’à pareille date l’année précédente. Les données ne concernent cependant que les décès suspects, non naturels ou inexpliqués. En comparaison à d’autres provinces ou villes, comme Toronto, il n’existe aucun registre qui permet de comptabiliser le nombre exact de décès de personnes en situation d’itinérance ni à Montréal ni au niveau provincial.
Que faire concrètement?
Les intervenant(e)s interrogé(e)s par le Montréal Campus sont unanimes sur la question des solutions. Si une personne en situation d’itinérance semble avoir besoin d’aide, il faut immédiatement contacter les services d’urgences, même si la personne dans le besoin ne veut pas. Si elle ne veut absolument pas interagir avec les services d’urgence et que sa vie ne semble pas être en danger imminent, il est possible de contacter un organisme communautaire.
« L’important c’est d’être ouvert à développer de la solidarité et de l’empathie pour nos voisins sans adresse. […] Peut-être qu’un petit sourire peut changer quelque chose dans la journée de quelqu’un », estime Maryane Daigle.
« Ce n’est pas parce qu’un itinérant est mal intentionné qu’il faut punir tous les autres », rappelle Guillaume Lavallée.
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