La poétesse innue Joséphine Bacon amorce sa deuxième année à titre d’Aînée en résidence à l’UQAM. Elle donne également le cours Langue, culture et traditions orales innues en collaboration avec la chargée de cours Jimena Terraza, depuis cet automne.
À travers de multiples recueils de poèmes et un dévouement acharné à l’enseignement de sa langue maternelle, l’artiste originaire de Pessamit sur la Côte-Nord s’est taillée une place indiscutable parmi les grandes figures de la littérature autochtone du Québec.
Les aîné(e)s dans nos écoles
« Avant les pensionnats, avant qu’on aille à l’école, avant qu’on apprenne à lire et à écrire l’autre culture, raconte Mme Bacon, c’était les aînés qui nous enseignaient tout. » Elle soulève l’ironie de donner un cours à l’université, alors qu’elle ne détient aucune formation officielle en enseignement.
« On est dans un monde moderne, et puis ça prend un titre à tout. Moi, j’ai juste besoin de mon âge. » La matriarche ne souhaite pas se définir par son parcours professionnel et les titres qui l’accompagnent ; les seuls bagages qu’elle ambitionne apporter à l’UQAM sont « de la générosité et de l’humilité ».
Être « vieille », chez les Innu(e)s, « c’était comme si tu avais atteint la sagesse », explique-t-elle. Pour l’Aînée en résidence, son mandat est d’être disponible et de conseiller la communauté étudiante et le corps professoral. Ces conseils, qu’ils prennent la forme de sensibilisation dans les classes ou de conversations privées dans son bureau au local NISKA, lui font plaisir, confie-t-elle.
« C’est important, quand t’es vieux, de penser que t’es utile encore. T’es même plus utile peut-être que quand t’étais jeune »
Joséphine Bacon
« Décoloniser le cours »
Joséphine Bacon partage la responsabilité de donner le cours Langue, culture et traditions orales innues avec Jimena Terraza. Cette chargée de cours est une linguiste spécialisée dans les langues autochtones de la famille algonquienne, soit le cri, l’innu, l’ojibwé et l’atikamekw.
Ce n’est pas la première fois que les deux femmes travaillent ensemble : elles ont donné des cours de langues à l’Institution Kiuna, et rapportent y avoir forgé une belle « complémentarité » dans leur enseignement. Alors que Jimena Terraza s’occupe davantage d’enseigner la matière, Joséphine Bacon dit être principalement là pour raconter, parler de sa culture et partager des anecdotes.
Marie-Ève Verrette, étudiante au Baccalauréat communication humaine organisationnelle à l’UQAM, apprécie particulièrement le style de partage de connaissance des deux enseignantes. Elle considère la classe comme un échange de points de vue et de savoirs plutôt qu’un cours magistral purement universitaire. « Ça amène un côté qui est un peu moins hiérarchique et plus horizontal, exprime-t-elle, je vois ça comme une tentative de décoloniser le cours. »
L’étudiante salue l’effort des chargé(e)s de cours de ne pas donner qu’un cours axé sur l’étude des lettres et du vocabulaire, mais d’y incorporer aussi un point de vue culturel. « Les mots expriment la réalité des gens qui les utilisent, donc pour comprendre une langue, il faut comprendre leur réalité », explique-t-elle.
Transmettre le savoir
Pour les enseignantes, il est essentiel de conserver la tradition orale, un outil de transmission culturelle fondamental pour les peuples autochtones.
Selon Jimena Terraza, ces cultures « fragilisées » contiennent une richesse incroyable, « c’est important de transmettre ces connaissances, sinon elles vont se perdre ». La spécialiste en linguistique espère qu’apprendre l’histoire des peuples qui habitaient le territoire avant elle encouragera la société québécoise à respecter ces nations et leurs droits.
Pour ce faire, la classe recevra plusieurs invité(e)s au cours de la session, dont Jean-Luc Kanapé, un « gardien du territoire innu », pour discuter du rôle du caribou dans la culture innue. Un archéologue sera également de passage pour parler de l’occupation autochtone sur l’actuel territoire québécois.
Les enseignantes se disent « extrêmement contentes » de l’enthousiasme des étudiant(e)s et du niveau de participation. Jimena Terraza exprime son regret de ne pas avoir eu plus d’inscriptions d’étudiant(e)s autochtones, qui ne sont que deux sur les 33 élèves. Elle déplore également le manque d’étudiant(e)s autochtones à l’UQAM et le fait que le cours est donné en présentiel, ce qui empêche les gens dans les communautés d’y assister à distance.
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