Quitter une religion est un processus complexe et méconnu. Le Montréal Campus a recueilli trois témoignages qui mettent en lumière les motivations derrière celui-ci, allant du désaccord moral et intellectuel au désir de liberté.
En 2008, Charles Hall a apostasié : il a écrit une lettre à l’archevêque de Montréal exigeant de se faire exclure de la religion catholique romaine.
L’agent technique en architecture pour la Ville de Montréal a quitté la religion parce que ses valeurs ne concordaient pas avec celles de l’Église. « Toutes les injustices que je trouvais sur la planète étaient au nom de la religion », lâche-t-il. Le traitement réservé aux femmes et aux minorités sexuelles le repoussait, entre autres.
« De concrètement demander de ne plus être catholique, puis d’avoir reçu une preuve écrite de l’archevêché, comme quoi je ne suis plus catholique, je trouvais que ça allait au bout de ma démarche », explique-t-il.
Les membres de la famille de Charles, particulièrement les plus âgés, n’ont pas tous compris sa décision d’apostasier. « Il y en a qui m’ont dit que ce n’était pas correct de faire ça », confie-t-il.
« Il y en a qui m’ont dit que j’allais aller en enfer » – Charles Hall, agent technique
Après un échange de lettres, le diocèse lui a renvoyé son baptistaire avec une croix dessus et a souligné que s’il voulait revenir, la porte lui était toujours ouverte.
Un désaccord intellectuel
Anu Khanna est étudiante au baccalauréat en affaires à l’Université McGill. Personne dans sa famille ne croit au Dieu chrétien. Dans la famille de son père, d’origine indienne, c’est plutôt l’hindouisme qui est présent. La famille de sa mère est québécoise et ne pratique aucune religion.
Vers la fin des années 2000, ses parents l’ont envoyée dans une école catholique primaire, où le corps enseignant était en partie composé de religieuses. Alors âgée d’à peine 4 ans, Anu Khanna n’a pas uniquement retenu les valeurs de générosité et de bienveillance des soeurs. Elle a aussi développé la foi.
Habituée aux pratiques religieuses à l’école, Anu Khanna commence à les adopter à la maison, de sa propre initiative.
« Tous les soirs, je m’agenouillais au pied de mon lit et je priais. Pour moi, c’était juste un rituel dans lequel je trouvais beaucoup de réconfort. Je croyais vraiment qu’il y avait un Dieu », raconte-t-elle.
En vieillissant, Anu Khanna a progressivement arrêté de croire en Dieu. Son grand intérêt envers la science a rendu sa vision du monde incompatible avec la foi, selon elle.
« Je suis quand même une personne qui a commencé à devenir très cartésienne très tôt dans ma vie », explique-t-elle.
« Je ne me souviens pas vraiment de quand tout ça a pris fin. Je pense que c’était très graduel. Au fur et à mesure qu’il y avait de nouvelles filles qui rentraient à l’école en 3e, 4e, 5e, 6e année, elles apportaient leur point de vue extérieur », ajoute l’étudiante.
Ces valeurs religieuses, qui étaient la norme pour elle et celles qui l’entouraient, ont cessé de l’être.
Fondements d’une décision
Frédéric Castel, chargé de cours au Département de sciences des religions de l’UQAM, indique que deux phénomènes peuvent mener des personnes à se départir de leur religion.
Le premier est celui de la démarche individuelle. Celle-ci est maintenant plus fréquente au Québec, puisque les croyances sont multiples et la liberté de religion est une valeur intrinsèque de la société.
Le deuxième est le départ de masse de la religion, surtout dû à la « contestation de la religion dominante parce qu’elle est trop autoritaire, traditionaliste, sexiste ». M. Castel ajoute que ce sont des reproches « plus généraux, plus sociaux », venant d’une grande partie de la population.
Libre de ne pas avoir peur
Golsa Esfandiar, étudiante en sciences de la santé au cégep de Saint-Laurent, est née en Iran et y a vécu les premières années de sa scolarité.
Là-bas, son école comportait une importante dimension religieuse. Le voile était imposé aux jeunes filles dès leur plus jeune âge et il y avait des heures de prière obligatoires, des évènements religieux et des sessions de prière de groupe. La lecture du Coran, en arabe, était inscrite au cursus. « Nous, en Iran, […] on apprend à craindre la religion. C’est tout le temps une menace, menace, menace. Et je trouve que pour un enfant de sept, huit ans, ça fait peur. J’ai essayé de repousser la religion le plus longtemps possible parce que ça fait peur, ce qu’on te dit », explique-t-elle.
Golsa souligne qu’elle n’a « jamais été forcée par [sa] famille », qui avait une approche plus personnelle par rapport aux pratiques et croyances religieuses. La liberté est le premier choc culturel que Golsa Esfandiar a vécu en arrivant au Québec, à neuf ans. « Je me disais “oh, c’est vraiment moi qui vais décider maintenant si j’ai envie de m’habiller d’une telle façon” », se remémore-t-elle.
« Mais quand je suis venue [au Québec], je me suis rendu compte qu’il y avait plein d’autres Iraniens qui, eux aussi, avaient laissé tout ça derrière eux. Je ne voyais pas beaucoup de gens de ma propre communauté continuer à suivre les mêmes traditions que là-bas », ajoute l’étudiante. Aujourd’hui, elle regrette d’avoir été initiée à la religion comme elle l’a été en Iran.
« J’ai des amis marocains à qui on a enseigné la religion [de l’Islam] autrement. Ils ont appris à aimer la religion, à croire en celle-ci. Mais moi, je me suis toujours sentie surveillée par rapport à ça [et] vraiment contrôlée », reproche-t-elle. Golsa Esfandiar ajoute qu’elle a, depuis, « honnêtement appris à apprécier » sa religion et « à la voir différemment ».
L’importance et les bienfaits de la liberté religieuse, M. Castel ne les nie pas. Le chargé de cours concède toutefois qu’ils viennent en tandem avec certains effets négatifs pour la société.
« Les gens sont désunis : les sociétés n’ont plus les mêmes idées. C’est difficile de créer une cohésion parce que tout le monde part d’idées différentes, au niveau spirituel », analyse-t-il.
Mention photo : Alice Young
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