Se réapproprier sa sexualité par le langage

Le langage reproduit le monde. S’invitent dans cette reproduction patriarcat, domination et dynamiques sociales genrées. Concernant la sexualité, des réinventions féministes s’imposent dans l’espace politique qu’est la langue. Dans ce travail de redéfinition langagière, un cheval de bataille se présente : le mot « pénétration ».

Le langage, « c’est le reflet du patriarcat. […] C’est en utilisant les bons mots et en changeant nos pratiques langagières qu’on va avoir du pouvoir dans notre sexualité », note d’emblée la sexologue Mélanie Guénette-Robert.

Celle qui a coécrit le Petit manifeste de la masturbation féminine avec la comédienne féministe Roxane Gaudette Loiseau souligne que le vocabulaire utilisé aujourd’hui entourant la sexualité est le fruit d’une détermination et d’une domination masculines.

Quand les premières recherches scientifiques et anatomiques sur la sexualité féminine ont été menées — uniquement par des hommes ​​—, « ils ont vraiment géré le corps de la femme comme un territoire à explorer et à s’approprier. Ils ont baptisé de leur propre nom [les parties du corps féminines], ce qu’on trouve non seulement inapproprié, mais très colonisateur », dénonce Roxane Gaudette Loiseau.

La militante féministe propose de transformer ces mots en termes purement biologiques : trompes de Fallope — découvertes par Gariel Fallope — deviennent trompes utérines, ou encore point G — nom tiré du gynécologue Ernst Gräfenberg — se transforme en complexe clitorido-urétro-vaginal.

Au-delà de l’anatomie, le langage envahit aussi nos intimités, en perpétuant des schèmes sexuels. Le mot « pénétration » est un exemple probant de la façon dont le vocabulaire maintient en place des rôles genrés patriarcaux. La pénétration, supposant un acte perpétré par une personne active et reçu par une personne passive, a défini nos imaginaires sexuels.

Un mot est alors proposé en guise de remplacement : la « circlusion » et son verbe « circlure ». Se voulant le pendant égalitaire de « pénétration », « circlusion » est formé par la fusion du préfixe cir- signifiant « autour » et du suffixe -clusion, un dérivé de « clore ». Circlure correspond alors à l’acte d’enrober, d’enfiler, d’entourer quelque chose par-dessus.

Néologisme utilisé pour la première fois en 2016 par la philosophe et féministe allemande Bini Adamczak, le mot demeure peu connu, bien qu’il circule dans les cercles militants féministes.

Dire que l’on circlut, plutôt que l’on est pénétrée, n’est pas banal : c’est subvertir les assises du stéréotype de la femme passive sexuellement. « C’est vraiment une façon de se mettre au cœur de l’action, d’être le personnage principal de nos ébats amoureux et sexuels. C’est fondamental pour faire la transition de femme objet, femme dominée, à femme épanouie, en contrôle de sa sexualité, qui ne subit pas l’acte sexuel, mais qui participe, qui l’initie », illustre Roxane, qui souhaite que le mot « circlusion » soit davantage publicisé et adopté par la population.

Dans une ère où les violences sexuelles sont de plus en plus ouvertement dénoncées, le mot circlusion peut aider les survivantes à se réapproprier leur sexualité. « Circlure, ça évoque un choix, une décision, le fait de prendre en main, donc ça implique forcément un consentement et un plaisir de l’acte », constate Roxane.

En plus de défier le script sexuel passif/actif, la circlusion s’avère un terme plus inclusif, « moins hétérocentré, moins phallique ». Si « pénétration » renvoie spontanément à un pénis et à un vagin, avec la circlusion, « on change complètement le scénario, parce que tu peux circlure plusieurs types d’objets, et ce, avec plusieurs parties du corps, dont la bouche, l’anus, et le vagin », ajoute-t-elle.

L’adoption du terme « circlusion » ne se fera pas sans heurts, croient toutefois les deux autrices. « C’est confrontant de voir une femme qui prend du pouvoir dans sa sexualité », résume Mélanie.

Et si vous disiez que vous avez circlu votre partenaire ou un objet après votre prochaine relation sexuelle? Car avoir des pratiques langagières subversives, c’est aussi paver la voie vers une sexualité plus libre, moins codifiée.

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