La culture des diètes, cet ensemble de croyances qui priorise le poids et l’apparence, fait partie du quotidien des Québécois et Québécoises depuis des décennies. Face à ce système, une issue se présente : l’alimentation intuitive.
« J’ai toujours eu un surplus de poids selon les médecins. […] Quand j’étais très jeune, mes parents m’ont initiée aux diètes », raconte Émeraude, une étudiante en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). De l’enfance à l’adolescence, elle fréquentait des centres de santé minceur, où on lui enseignait à compter les calories et à limiter ses portions afin de perdre du poids.
Jeune adulte, Émeraude continuait à essayer de suivre des diètes. « C’était toujours la même histoire où je m’embarquais dans une diète, j’y allais à fond, mais ce n’était pas viable donc j’abandonnais. […] Là, je me sentais coupable, donc je recommençais », se remémore-t-elle. Avec le recul, Émeraude considère que ses comportements s’apparentaient à un trouble alimentaire. « Ça me troublait tellement que je m’empêchais de sortir avec mes amies, parce que leur consommation normale de nourriture me rendait trop jalouse », se souvient-elle.
Jusqu’à ses 28 ans, Émeraude a continué à suivre des régimes de façon intermittente, mais sans succès. « Après, je reprenais tout le poids perdu et même plus encore », ajoute-t-elle.
L’obsession du poids
D’après les données de l’organisme ÉquiLibre, qui œuvre pour promouvoir une image corporelle saine au sein de la population québécoise, près de trois femmes sur quatre et près d’un homme sur cinq souhaitent maigrir, peu importe leur poids.
Un éventail de régimes et de méthodes de perte de poids s’offre alors à ces personnes. Du régime cétogène au programme WW (anciennement appelé Weight Watchers), chaque méthode promet d’être la solution ultime pour perdre du poids. Or, les données disent le contraire : d’après l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), 95 % des personnes ayant suivi un régime amaigrissant reprennent le poids perdu dans les 5 années suivantes.
Les diètes amaigrissantes ont perdu de leur popularité. Il y a dix ans, au Canada, la taille du marché des services de perte de poids s’élevait à 416 millions de dollars. Aujourd’hui, elle a chuté à 332 millions de dollars. Or, la culture des diètes existe au-delà des diètes elles-mêmes, d’après Andrée-Ann Dufour-Bouchard, nutritionniste et chef de projets chez ÉquiLibre. « Les gens suivent un peu moins de diètes qu’avant, mais ils se tournent quand même vers des règles, des restrictions et de la privation », explique-t-elle.
La nutritionniste souligne qu’encore aujourd’hui, la minceur est surreprésentée dans notre société. Puisque la minceur demeure la norme pour la plupart des gens, elle les motive à se restreindre pour atteindre un poids idéal. « Quand on a juste le poids comme motivation à changer nos habitudes de vie, […] on a tendance à faire des changements trop drastiques qu’on finit par abandonner », avertit-elle. Chez ÉquiLibre, Andrée-Ann Dufour-Bouchard et ses collègues promeuvent un discours axé sur le bien-être, plutôt que sur la minceur.
Échapper à la culture des diètes
L’un des éléments phares de l’approche que suggère ÉquiLibre est l’alimentation intuitive, aussi appelée diète anti-diète. L’idée qu’elle prône est simple : manger à sa faim, et ce, sans restriction. En d’autres mots, il s’agit d’écouter ses signaux physiologiques internes de faim et de rassasiement et de s’alimenter en conséquence.
« Quand on reprend le poids perdu après avoir fait une diète, on pense que c’est notre faute. […] En réalité, c’est parce que la méthode ne fonctionne pas! », indique Karine Gravel, nutritionniste spécialisée en alimentation intuitive. Elle ajoute que l’alimentation intuitive ne promet pas de perte de poids ; elle vise plutôt à reconnecter chaque personne avec ses propres besoins, afin que la volonté de contrôle qu’encourage la culture des diètes laisse place à une acceptation de soi.
Karine Gravel explique que cette approche tente de corriger l’idée qu’il existe des aliments qui sont, de façon inhérente, bons ou mauvais. « Si on considère des aliments comme mauvais, on va probablement finir par en manger quand même, et on va se sentir coupables de le faire », ajoute-t-elle. D’après la nutritionniste, lorsqu’une personne se défait de telles associations, elle peut commencer à écouter ses propres besoins, sans jugement.
À 30 ans, Émeraude a décidé d’arrêter les diètes pour de bon. Elle a rencontré une nutritionniste, qu’elle consulte toujours, et qui l’a initiée à l’alimentation intuitive. « Ça a été une libération de me faire dire que c’était normal que les diètes ne marchent pas, et que mon désir d’arrêter d’en faire soit validé », témoigne-t-elle.
Émeraude pratique l’alimentation intuitive depuis près d’un an. « C’était étrange, au début, de réapprendre à manger ce que je voulais, quand je le voulais », souligne-t-elle. Malgré l’adaptation, Émeraude affirme que manger intuitivement est la meilleure décision qu’elle aurait pu prendre. « C’est encore difficile parfois, mais ça l’est cent fois moins qu’une diète pourrait l’être, psychologiquement comme physiquement », conclut-elle.
Mention photo Camille Dehaene | Montréal Campus
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