L’achat d’objets numériques gagne en popularité chez les collectionneurs et les collectionneuses, alors que le fondateur de Twitter a vendu son tout premier tweet à la fin du mois de mars 2021 pour plus de 2,9 millions de dollars. La technologie blockchain, qui permet de démontrer l’authenticité d’un objet, est au cœur de cet engouement.
Le Montréal Campus s’est entretenu avec le professeur agrégé au Département d’analytique, opérations et technologies de l’information de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Régis Barondeau ainsi qu’avec le professeur titulaire au Département d’information et de communication de l’Université Laval et codirecteur du Laboratoire sur la communication et le numérique Guillaume Latzko-Toth. Tour d’horizon afin de comprendre ce phénomène technologique émergent.
Geneviève Abran (GA) : Comment peut-on acheter un objet virtuel qui est accessible à tous sur le web?
Régis Barondeau (RB) : Il y a des marchés, des sites et des plateformes spécialisés qui permettent d’abord de visualiser l’offre. Il y a souvent des enchères qui sont en cours. Des fois, ce sont des prix qui sont fixes, d’autres fois, ce sont des enchères, ça dépend des sites. Vous pouvez acheter des jetons non fongibles (NFT). Des sites comme la National Basketball Association (NBA) vendent une vidéo dans laquelle Lebron James fait un dunk à 208 000$. C’est l’équivalent des cartes de joueurs qui sont normalement collectionnées. […] Ce qui est particulier, c’est que cette séquence vidéo peut être retrouvée partout ailleurs sur le web.
Guillaume Latzko-Toth (GLT) : Jusqu’à présent, le problème avec les objets numériques c’est qu’ils sont reproductibles à l’infini sans que l’on puisse dire qu’il y a un original. […] La technologie de la blockchain, c’est une technologie qui a permis de numériser la confiance. Cette confiance est encapsulée dans l’objet lui-même, dans la technologie elle-même. On a vu les premières manifestations de cela avec les cryptomonnaies.
GA : Qu’est-ce qui donne de la valeur à un objet numérique?
RB : Derrière ces achats se cachent les technologies blockchain. Elles permettent de rendre un actif numérique rare. Avant, quand vous aviez quelque chose de numérique, vous pouviez en faire des clones à l’infini, sans avoir cette notion de rareté. Avec les réseaux blockchain, vous êtes capable d’identifier un objet numérique de façon unique. Ce faisant, vous pouvez lui donner de la rareté. Si c’est comme un dunk de Lebron, on peut en avoir plein de copies, mais il y aura quand même cette version officielle de la NBA qui peut être identifiée de façon unique et qui va avoir une valeur supérieure.
GLT : La dimension symbolique d’un objet, c’est ce qui fait son importance. [Elle] vient du rapport qu’on a avec ces objets et les uns avec les autres. S’il n’y avait pas de collectionneurs, il n’y aurait pas d’objets à collectionner. C’est avant tout parce qu’il y a une communauté qui partage un certains nombres d’intérêts et de codes culturels qu’un objet se voit accorder une valeur plus ou moins grande. […] Je pense qu’on peut suivre le même raisonnement par rapport aux objets numériques parce qu’on a cette habitude de penser que rien ne remplace l’objet que l’on peut toucher avec ses mains.
GA : Qui s’intéresse à ce genre d’achats?
RB : Ça peut intéresser les spéculateurs, qui achètent pour gagner de l’argent en revendant très vite ou à long terme. En ce moment, ça bouge pas mal. Ça peut aussi intéresser ceux et celles qui recherchent la visibilité ou le statut. Il y a certainement des vrai(e)s collectionneurs et collectionneuses. Comme pour la monnaie, les timbres, les œuvres d’art, il y a des collectionneurs et collectionneuses numériques.
GA : Est-ce que ces technologies sont nouvelles?
RB : Des NFT existent depuis le début de l’Internet, mais ils n’étaient pas nommés comme ça. C’est la notion de propriété qui est nouvelle. La technologie blockchain permet de conserver ou de transférer un actif numérique parce qu’il va réellement nous appartenir. On va pouvoir prouver qu’on est réellement propriétaire de quelque chose.
GLT : Même avant que la chaîne de bloc se démocratise et tende à se généraliser en dehors des cryptomonnaies, j’ai constaté, avec des collègues, que les objets circulent de plus en plus sous forme numérique dans des communautés de collectionneurs et collectionneuses, mais pas seulement. […] Notre rapport aux formes de matérialité est en train de se transformer. Ces fameux NFT de la blockchain sont un autre outil qui nous permet de passer de façon plus fluide d’une forme de matérialité tangible à une forme de matérialité numérique.
GA : Comment peut-on percevoir l’avenir de ces avancées technologiques?
GLT : Cette technologie qui garantit la confiance dans l’authenticité des objets, je pense qu’elle est là pour rester. […] Actuellement, on est focalisés sur le côté spectaculaire des transactions qui nous sont annoncées sur certains objets. Ce qui va invariablement se produire est que la réalité quotidienne de ces technologies sera beaucoup plus banale et utilitaire. […]
La technologie blockchain est actuellement problématique du point de vue de sa soutenabilité écologique. Les registres conservent la mémoire de toutes les transactions. Forcément, leur taille grossit de jour en jour. Ça génère un volume de données énorme et qui ne fait qu’augmenter avec le temps, tout simplement parce qu’il y a constamment de nouvelles transactions.
RB : Il y a des questions de consommation d’énergie derrière [l’utilisation des blockchain]. Il faut faire attention quand on parle de ça parce que c’est un vrai et un faux problème. Il y a un problème de conservation électrique parce que certaines technologies blockchain utilisent un protocole de consensus, essentiel à son bon fonctionnement, mais qui est polluant. Par contre, elles ne le font pas toutes. Le protocole de consensus, c’est la preuve que quiconque qui propose un bloc à ajouter à la chaîne a suivi les règles pour ajouter ce bloc. […] Il ne faut pas oublier qu’on est dans la première version des technologies blockchain.
Mention photo: Lila Maitre
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