À l’horizon 2050, quelque 143 millions d’individus pourraient avoir migré en raison des changements climatiques selon la Banque mondiale, un chiffre que l’ONU estime plutôt à 250 millions. Les défis liés au multiculturalisme sont donc voués à se multiplier. La culture, qui avait initialement été évacuée du concept de développement durable, est aujourd’hui perçue comme l’une de ses dimensions capitales.
Le développement durable est censé répondre «aux besoins des générations actuelles sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs», tel que défini en 1987 dans le rapport Brundtland publié par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies (ONU). La croissance économique, l’inclusion sociale et l’équilibre environnemental avaient alors été considérés comme les piliers fondamentaux de ce concept.
«Le système de valeurs à l’origine des projets de développement durable fait de la culture un pilier sous-jacent aux trois premiers», explique Felipe Verdugo-Ulloa, auteur d’un mémoire de maîtrise en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) intitulé Rôle de la culture dans le développement durable : portrait des débats et analyse des ODD (Objectifs de développement durable).
En 2001, l’analyste culturel et écrivain Jon Hawkes théorise la culture comme quatrième pilier du développement durable tandis qu’en 2004, l’organisation internationale Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), basée à Barcelone, rédige et adopte l’Agenda 21 de la culture. Il s’agit du premier document à vocation mondiale dressant un lien étroit et concret entre la culture et le développement durable.
C’est en 2011 que la Belle Province se dote de l’Agenda 21 de la culture du Québec, dans lequel la culture, dite «porteuse de sens, d’identité et de valeurs», est notamment présentée comme «vecteur de démocratie, de dialogue interculturel et de cohésion sociale».
Réévaluation de la culture
M. Verdugo-Ulloa, affirme qu’«il faut comprendre la culture dans son sens social». Il estime que la culture «est foncièrement intégrée dans chacun des 17 objectifs de développement durable» mis de l’avant par l’ONU en 2015. Du lot, on retiendra surtout la conception de villes sûres et durables au sein de sociétés pacifiques et inclusives et la réduction des inégalités, lesquelles sont étroitement liées à la culture.
«La culture, c’est l’identité, c’est qui nous sommes. […] C’est beaucoup plus que quelque chose qui permet de faire des profits», estime Claude Vaillancourt, auteur de l’essai La culture enclavée traitant des rapports entre art, argent et marché. Le directeur du service Loisirs et culture de Vaudreuil-Dorion, Michel Vallée, abonde lui aussi en ce sens. «La culture, c’est simplement qui on est, c’est ce qui permet d’unir les gens», dit-il.
M. Vallée, qui a contribué à faire de Vaudreuil-Dorion l’une des 14 villes leaders mondiales en matière d’Agenda 21 de la culture, croit par ailleurs qu’«il faut arrêter de comprendre la culture uniquement comme un divertissement». Avec la participation de la ville de Vaudreuil-Dorion, il a notamment travaillé à la réalisation du projet Je suis… qui propose chaque année entre 35 et 50 activités de participation culturelle qui ont rejoint jusqu’à 20 000 participants et participantes depuis sa création en 2010. Ces activités ont pour objectif de «créer un sentiment d’appartenance et de favoriser l’émergence d’une communauté unie» par le biais de la culture.
Transformation utopique ?
Les intervenants rencontrés par le Montréal Campus s’entendent pour dire qu’un changement de paradigme est nécessaire de sorte que la culture cesse d’être assujettie aux impératifs économiques, desquels découle surtout la perpétuelle quête de croissance. Bien qu’il ne se dise pas pessimiste, M. Verdugo-Ulloa considère néanmoins qu’il serait «naïf de penser qu’un changement aussi profond puisse s’opérer [à court ou moyen terme]».
Pour sa part, l’auteur Claude Vaillancourt en appelle à une «remise en cause profonde de tout notre système économique». Selon lui, ce changement de système se traduirait par «un retour vers des marchés plus petits et des circuits plus courts dont bénéficieraient à la fois les secteurs culturel et environnemental». L’économie devrait être conçue dans une perspective locale de sorte à tenir compte de l’unicité culturelle des différents pays, lesquels se retrouvent souvent assujettis à l’hégémonie culturelle états-unienne.
«Nous sommes vraiment dans une nouvelle façon de voir les choses, affirme quant à lui Michel Vallée. Bien au-delà de la théorie, on perçoit des impacts réels sur le développement positif de la collectivité.»
Dans sa ville montérégienne qui a connu une forte explosion démographique en partie imputable à l’immigration, le projet Je suis… a permis de «créer la rencontre entre des citoyens de différents horizons […] pour faire en sorte qu’ils apprennent à vivre ensemble». Selon lui, le changement de paradigme serait déjà entamé et voué à croître. «Si je n’en étais pas intimement persuadé, je ne continuerais pas à faire ce travail-là», dit-il.
Les moyens de ses ambitions
Presque dix ans après l’adoption de l’Agenda 21 de la culture du Québec, M. Vallée presse le gouvernement de «[le] ressortir pour que l’ensemble du Québec puisse y réfléchir collectivement». «On a eu l’impression que ce document-là avait été voté en 2011 et que, par la suite, il avait été laissé sur la table», déplore celui qui considère néanmoins ce document comme un outil formidable.
Claude Vaillancourt est d’avis que le changement souhaité peut prendre forme, mais qu’une «intervention étatique et une meilleure subvention de la culture» sont nécessaires. Il invite les instances politiques à légiférer pour favoriser l’apport bénéfique de la culture aux différents projets de développement durable, et ce, quitte à aller «à l’encontre de l’idéologie néolibérale mise en place».
La culture, une fois affranchie des diktats d’une rationalité économique en constante croissance, serait donc en mesure de s’imposer comme outil probant du développement durable. «Avec la rencontre culturelle vient la connaissance de l’autre et de ses différences, et avec cette connaissance-là vient le respect», soutient M. Vallée. En ce sens, la culture est à prendre en compte dans la conception du bien commun: elle peut s’en porter garante, au même titre que les autres piliers du développement durable.
Photo William d’Avignon | Montréal Campus
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