Pour qui je me prends : une histoire de langues

Abandonner son enfance en Ontario et sa langue maternelle qui l’étouffe afin de partir à la découverte des langues : voilà le combat de l’autrice Lori Saint-Martin, transmis avec justesse dans son récent livre Pour qui je me prends, paru aux Éditions du Boréal le 25 février.

Retraçant le cheminement personnel et linguistique qui l’a mené aux études de langues et à l’écriture de ce roman, Mme Saint-Martin offre un témoignage sincère et rempli d’émotions transmettant l’importance de la langue dans nos vies. Elle n’en est pas à son banc d’essai en littérature. En plus d’avoir écrit son premier livre Les portes closes en 2013, Lori Saint-Martin a déjà publié plus d’une centaine de traductions et est également professeure à l’UQAM au Département d’études littéraires.

Au fil des quelque 200 pages du roman, l’autrice témoigne des grands événements de sa vie à travers l’apprentissage du français, de l’espagnol et de l’allemand. Tout en expliquant où tout a commencé, Lori Saint-Martin réussit à faire voyager entre les lignes de son journal intime, décrivant le quotidien d’une jeune Ontarienne anglophone à la recherche de réponses et d’un moyen de s’épanouir. C’est littéralement une raison de vivre qu’elle se découvre lorsqu’elle entend pour la première fois la langue de Molière. « Ma prise de conscience fut en cinquième année du primaire en entendant le français, là ce fut le début de ma nouvelle vie », explique-t-elle en entrevue avec le Montréal Campus

Les 11 premières pages prennent la peine de résumer les principaux événements de la vie de Mme Saint-Martin entremêlés de ses pensées au moment où elle écrit les premières phrases. Plus le roman avance, plus le lecteur ou la lectrice se perd dans le temps avec comme seuls marqueurs temporels des événements marquants de sa vie. Cela ne facilite pas la tâche, surtout lorsque la lecture du roman s’étire sur plusieurs jours. 

Malgré le caractère autobiographique du livre, l’autrice estime que son oeuvre reste une histoire de fiction, puisqu’il est difficile d’offrir une version fidèle de son passé avec une vision pleine de sagesse et des expériences qui ont ponctué sa vie. « La lecture que je fais de ma vie est déjà une fiction. Plus je retournais dans mon passé, plus je me voyais comme un personnage de fiction, même si ce sont essentiellement des choses qui sont réellement arrivées », précise la romancière.

L’ignorance, ennemie des langues

Née à Kitchener, une ville industrielle située à environ 110 kilomètres à l’ouest de Toronto, Lori Saint-Martin aborde franchement le rapport à l’ignorance entre l’anglais et le français. C’est en cinquième année qu’elle et ses camarades de classe ont leur premier contact avec le français lors d’un cours obligatoire. L’autrice dépeint l’attitude négative et les insultes à l’encontre de cette langue inconnue de tous et toutes. « Se féliciter de son ignorance m’a toujours semblé une attitude dangereuse », écrit-elle dans Pour qui je me prends

Après avoir sérieusement entrepris d’apprendre le français durant le secondaire, Lori Saint-Martin se souvient de cette incompréhension, tendant vers le mépris, de la part de sa famille et de ses partenaires de cours. « “C’est inutile”, “le français est trop efféminé”… Des paroles remplies d’ignorances », raconte-t-elle. Cela n’a fait qu’accentuer son désir d’évasion afin d’abandonner complètement l’anglais. Elle a même changé de nom, originellement Lori Farnham, une fois déménagée au Québec afin de se réinventer. « C’est ce qu’il me fallait pour tourner la page, commencer une nouvelle vie que j’avais envie de vivre. » 

Le livre est l’aboutissement de cet apaisement avec son passé anglophone. L’apprentissage du français, suivi de l’espagnol ainsi que le retour aux sources avec la langue allemande, parlée par ses ancêtres, a permis cet accroissement. « J’ai vieilli, je suis fière des choix que j’ai faits et je n’ai plus de rancoeur pour la langue anglaise », confie-t-elle. Ce qui peut ressembler d’entrée de jeu à une histoire de mépris pour l’anglais concrétisé par l’apprentissage du français se transforme finalement en réflexion subtile et émotionnelle sur la découverte de trois langues. 

À travers des voyages et des cultures différentes, l’autrice offre une vision très épurée et franche de son parcours de vie. Ce livre rempli de poésie est une véritable déclaration d’amour à la langue qui a permis à Lori Saint-Martin de renaître. « Au départ, je croyais m’être réinventée une fois en français, mais c’est faux. Je me suis réinventée de nouveau avec l’espagnol et, d’une certaine façon, en écrivant ce livre. »

Photo Florian Cruzille | Montréal Campus

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