Ce texte est paru dans l’édition papier du 4 décembre 2019
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La communauté scientifique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) n’a rien à envier à celle des autres universités montréalaises. Preuve à l’appui, le professeur en biochimie au Département de chimie de l’UQAM Borhane Annabi et son équipe ont obtenu en octobre dernier une subvention de 1,7 million de dollars afin de poursuivre leur travail de recherche sur le cancer du sein, ce qui est une première dans l’histoire de l’institution.
La subvention a été offerte par le Consortium québécois sur la découverte du médicament (CQDM) en partenariat avec la Société canadienne du cancer du sein (SCC) et l’entreprise pharmaceutique Theratechnologies à la Chaire de recherche en prévention et en traitement du cancer de l’UQAM.
Les fonds soutiendront l’équipe de M. Annabi pour une durée de deux ans et demi, de l’optimisation de l’ébauche d’un médicament jusqu’au premier test sur un être humain. Or, bien que le scientifique ait une idée claire de sa destination, le chemin qu’il empruntera pour s’y rendre n’est pas entièrement tracé. Il dit être conscient des imprévus qui pourraient se présenter en cours de travail.
Changer l’hypothèse
Le professeur Borhane Annabi enseigne la biochimie à la Faculté des sciences de l’UQAM depuis bientôt 18 ans. En 2012, il a pris les rênes de la Chaire de recherche en prévention et en traitement du cancer. Aux premières loges de la recherche scientifique universitaire, le professeur est bien au fait de la réputation qui colle à l’UQAM.
« La perception du grand public et même de certains organismes subventionnaires fait malheureusement en sorte que lorsque certains chercheurs de l’UQAM postulent à des fonds d’envergure pour la recherche biomédicale, ils se buttent à l’idée que parce que l’UQAM n’a pas de faculté de médecine, [elle est] incapable de faire de la recherche de pointe en santé. C’est complètement faux et il faut casser ce tabou-là », estime Borhane Annabi.
Même si s’affranchir de ce stéréotype populaire semble être une tâche ardue pour l’Université, M. Annabi soutient que l’institution « est en train de plus en plus de se faire une place » dans les coulisses de la recherche scientifique montréalaise.
« Le calibre [de la recherche] est tout à fait comparable [à celui des autres universités], affirme le professeur également chargé de cours à l’Université de Montréal. On a de formidables infrastructures à la fine pointe qui permettent de développer des médicaments et des stratégies thérapeutiques innovantes. Maintenant, il s’agit d’avoir le front de rivaliser dans la cour des grands, et l’UQAM [s’y] place de plus en plus avantageusement. »
Au coeur du problème
La communauté scientifique de l’UQAM s’intéresse à de nombreux champs d’études, allant de l’intelligence artificielle à la neuroscience en passant par la kinésithérapie. « En ce qui concerne le cancer du sein, on développe actuellement un médicament pour traiter le cancer triple négatif, une forme plus invasive de ce type de cancer dont la thérapie connaît très peu de succès », spécifie Borhane Annabi.
Grâce à ce travail de recherche, le professeur Annabi affirme que ses collègues et lui sont en mesure de « cibler spécifiquement une sous-population très agressive de cellules cancéreuses et d’optimiser la pénétration de [leur] médicament à l’intérieur de ces cellules ».
« [La subvention] permet de supporter les salaires, mais aussi de payer les consommables et les réactifs — les ingrédients dont on a besoin —, et toute l’infrastructure qui permet de gérer les expériences et les étapes qui mènent au développement d’un médicament », détaille M. Annabi.
Haute pression
Les fonds mobilisés pour le projet de Borhane Annabi proviennent donc en partie du gouvernement provincial, mais aussi d’intérêts industriels, représentés dans ce cas par Theratechnologies, une entreprise pharmaceutique avec des actifs au Canada et aux États-Unis.
« La pression ne vient pas juste de notre partenaire industriel [Theratechnologies], mais aussi de l’octroi de la subvention en tant que tel. On crée une anticipation d’arriver à terme des jalons fixés. On se fixe des objectifs qui sont ambitieux. Et il y a une séquence d’événements dans le temps qu’on doit respecter, mais on veut avancer le plus rapidement possible », précise-t-il.
Le chercheur voit cette collaboration du gouvernement, de l’industrie et de la communauté scientifique d’un bon œil. « Ultimement, une compagnie pharmaceutique souhaitera commercialiser son produit et s’assurer que son investissement permette dans 10 ou 15 ans d’aller chercher un certain profit, remarque-t-il. Mais au-delà de ça, en tant que chercheur, on veut être capable de guérir. »
« Ce qui est inhérent [au domaine de] la recherche, c’est le fait qu’on s’en va vers un certain inconnu, rappelle le professeur de biochimie. On ne peut pas vous dire que ça va marcher immédiatement. Si ça ne marche pas, on doit recommencer. Si ça marche, on doit reconfirmer. Cette zone grise, c’est un tampon aussi budgété, mais il se peut qu’au bout de deux ans et demi, il nous manque quelques milliers de dollars. »
Plus d’un mois après avoir obtenu le financement pour sa recherche, M. Annabi a bon espoir de pouvoir mener à bien ses deux missions : changer la perspective de la société par rapport à la communauté scientifique de l’UQAM et soigner une patiente atteinte du cancer du sein triple négatif.
« Avec l’octroi de cette subvention, si on réussit à aller porter notre médicament en essai clinique — et je pense qu’on peut être assez optimiste — on pourra se positionner comme des leaders dans le domaine de la recherche sur le cancer du sein parce que ça serait une approche thérapeutique complètement originale », avance-t-il.
Photo | Florian Cruzille MONTRÉAL CAMPUS
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