Ce texte est paru dans l’édition papier du 4 décembre 2019
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Critiquée par les traditionalistes, mais chérie par les personnes plus curieuses, l’intelligence artificielle (IA) tente de se frayer un chemin dans la sphère de la création artistique, où la propriété intellectuelle demeure une source d’interrogation.
Si selon la Loi sur le droit d’auteur, un ou une artiste est titulaire de tous les droits liés à ses créations, rien n’indique que cette loi s’applique aux œuvres générées par IA. « Les définitions de l’intelligence artificielle sont très nombreuses et la communauté scientifique elle-même n’est pas parvenue à un consensus en raison de la diversité des formes qu’elle peut prendre », explique la candidate au doctorat en droit à l’Université Paris-Sud, Claudia Gestin-Vilion.
Celle qui a réalisé son mémoire de maîtrise sur le droit d’auteur des créations d’intelligence artificielle propose toutefois sa propre définition. « [Ce sont] des programmes informatiques de haut niveau capables de reproduire certaines caractéristiques de l’intelligence humaine, telle que la capacité de création », précise-t-elle.
Développé par l’équipe de la résidence Art & IA, le projet L’éclat du rire, des artistes Muriel de Zangroniz, Mélanie Crespin et Étienne Paquette consiste à amasser des heures de rires afin qu’un logiciel produise un amalgame qui serait « le rire de l’humanité », précise Muriel de Zangroniz. Le concept a déjà été réalisé par le passé, comme dans le cas de la toile The Next Rembrandt ou de la chanson Daddy’s Car. Les deux œuvres sont les résultats de l’IA qui a cumulé les peintures de Rembrandt ou, dans le second cas, les titres des Beatles, afin de recréer un ouvrage à la technique similaire à celle de l’artiste original.
« D’un point de vue juridique, les outils d’intelligence artificielle sont des biens, comme de simples logiciels », explique l’avocat Éric Lavallée. Celui qui dirige le Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle précise que l’IA « n’a pas de personnalité juridique ». Le droit d’auteur reviendrait ainsi au créateur derrière le programme et non à l’artiste, du moins pour l’instant.
Selon la candidate au doctorat Claudia Gestin-Vilion, c’est une situation qui pourrait changer en fonction « du degré d’intervention humaine qui a été mobilisée lors de la création ». Elle explique que l’IA ne peut « générer une œuvre [de toute pièce], sans l’apport considérable d’humains ».
Cet apport peut intervenir « en amont de la création, au stade de l’apprentissage ou de la programmation ou pendant le processus créatif sous forme d’un contrôle », ajoute-t-elle.
Une grande majorité de la communauté juridique croit qu’il faudrait toutefois envisager d’encadrer ses actions si l’IA en vient toutefois à ne plus avoir besoin de l’intelligence humaine lors de la création d’une œuvre, selon Mme Gestin-Vilion.
Pour attribuer des droits d’auteur à une intelligence artificielle, il faut a priori que sa création soit qualifiée d’œuvre, aspect sur lequel les experts et expertes ne s’entendent pas. Juridiquement, « l’œuvre d’art n’est pas clairement définie par les textes », explique Claudia Gestin-Vilion. Elle ajoute que d’après la jurisprudence et la doctrine, une œuvre est « matérialisée par une forme perceptible par les sens humains et [doit pouvoir] être qualifiée d’originale, propre à son auteur ».
Pour la communauté artistique, cette définition n’a toutefois pas un sens aussi restreint. Selon la comédienne et metteuse en scène Muriel de Zangroniz, « c’est celui qui voit qui détermine si c’est une œuvre d’art ou pas ».
Pour l’instant, l’intelligence artificielle a sa place en art comme dans tous les domaines « en tant qu’outil de soutien aux êtres humains », affirme Éric Lavallée. Muriel de Zangroniz perçoit l’IA de la même façon, soit « une nouvelle formule que tu peux joindre à ta création, un outil d’une grande complexité, un pinceau plus lourd ». Bien qu’elle n’en soit qu’à ses balbutiements, l’intelligence artificielle est en pleine évolution et pourrait bientôt devenir bien plus qu’un outil, voire une autrice.
Photo | Florian Cruzille MONTRÉAL CAMPUS
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