Constituons!, du peuple à la scène

Écrire la constitution du Québec de demain, puis présenter la démarche sous forme de pièce de théâtre : voilà le défi que s’est lancé l’auteur et metteur en scène Christian Lapointe en 2017 et qui a abouti à la première de la pièce Constituons! le 12 novembre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

« Il faut le faire pour vrai », a lancé Sylvain Bélanger, directeur artistique du Théâtre d’Aujourd’hui (CTA), à Christian Lapointe lorsque celui-ci est venu lui présenter son projet plus grand que nature en 2017. Pour que la pièce Constituons! ait un réel impact, il était clair pour les deux hommes que la constitution devait être rédigée à travers une vraie démarche citoyenne.

C’est ainsi que Christian Lapointe a amorcé une collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde, qui a mené une partie du processus. Un quart de million de dollars plus tard, octroyé par différentes institutions telles que l’UQAM et la CSN, un groupe de 42 citoyens et citoyennes « tiré[e]s au hasard à parité homme femme et représentatif de la population » s’est plongé dans ce fastidieux projet d’écrire une constitution pour le Québec. Des volontaires issu(e)s de chaque région administrative – à l’exception du Nord, faute de volontaire – ont ainsi rédigé un document d’une quinzaine de pages contenant 80 articles qui abordent notamment la langue, la religion et l’éducation.

Du théâtre politique

« Moi, je joue un documentaire qui fait un retour sur la manoeuvre que j’ai menée et qui donne un peu le sentiment du tourbillon dans lequel je me suis trouvé », explique Christian Lapointe à propos de la pièce qui a découlé de ce processus.

Ce tourbillon qu’aborde l’acteur fait référence à la multitude d’éléments visuels et sonores auxquels l’auditoire doit être attentif. Alors que M. Lapointe parle de jargon politique, des courriels s’affichent sur la toile amovible, tout comme des vidéos documentant la démarche citoyenne. Le son de ces capsules est lui aussi projeté dans la petite salle contenant une centaine de personnes. Le public doit alors lire, écouter, regarder et tenter au mieux d’enregistrer toute cette information, ce qui devient à quelques reprises assez exigeant.

« Utiliser ce travail de superposition d’informations pour forcer le public à abandonner l’analyse rationnelle » était  l’objectif de Christian Lapointe avec cette approche qu’il aime exploiter afin de conserver l’attention du public. Pour le performeur de Tout Artaud?!, spectacle dans lequel il s’est donné l’objectif de lire l’ensemble de l’oeuvre d’Antonin Artaud jusqu’à épuisement, cette pratique synthétise les vingt dernières années de sa carrière. En présentant cette démarche citoyenne comme une œuvre d’art, il a rendu le sujet « inoffensif » aux yeux des instances politiques et a réussi plus facilement à ramasser des fonds. 

Le produit final au contenu n’ayant subi aucune pression de groupes corporatifs ou partisans a d’ailleurs été remis, en mai dernier, à la ministre de la Justice, Sonia LeBel. L’Assemblée nationale a même débattu du projet pendant deux heures le 9 octobre dernier. Les parlementaires ont ainsi adopté une motion dans laquelle l’Assemblée nationale demande au gouvernement fédéral d’envisager de doter le Québec d’une constitution, alors que celui-ci n’a jamais signé la Constitution canadienne de 1982. Cela est un droit pour les provinces, bien que seule la Colombie-Britannique en ait une pour l’instant.

Les autochtones, un aspect essentiel

« La question autochtone s’est imposée dès le début comme un éléphant dans la pièce », mentionne Sylvain Bélanger. Christian Lapointe partage cet avis et en a abondamment parlé durant les deux heures et demie de son monologue. Il y décrit l’entièreté des étapes de création de la constitution, processus auquel il n’a d’ailleurs aucunement participé. Le metteur en scène a aussi fait le choix de conclure la pièce sur une vidéoconférence en direct avec Alexandre Bacon de la communauté innue de Mashteuiatsh, un conseiller stratégique auprès de plusieurs groupes autochtones.

À l’écran, ce dernier tente de résumer les 400 dernières années de l’histoire des Premières Nations au Québec en quelques minutes. Des explications louables et nécessaires, mais malheureusement insuffisantes pour comprendre l’entièreté des problèmes soulevés par les différentes communautés au Québec.

La pièce, assez lourde de sens, mérite d’être vue ne serait-ce que pour l’importance fondamentale des sujets qui y sont traités. Malgré quelques longueurs s’accentuant lors des bris techniques dus à des rénovations au CTA, la pièce demeure tout de même une oeuvre capitale qui se digère bien grâce à l’humour du comédien. La participation du public lors d’un jeu-questionnaire donne aussi vie à la performance.

Les représentations se poursuivent jusqu’au 30 novembre au Théâtre d’Aujourd’hui et jusqu’au 30 mars 2020 ailleurs au Québec.

Photo Valérie Remise

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