Collaboration à Londres
« Ici, c’est Dunkerque. Qui seront les premiers sur la plage? Qui seront les premiers à se battre pour notre pays? » Dans cette salle comble du sous-sol londonien, l’évocation du rivage emblématique a tout d’un serment d’allégeance. Des poings se lèvent, les décibels s’emballent, une ivresse patriotique délie la langue des membres de la University College London (UCL) Conservative Society.
« Je serai le premier sur la plage! » Parmi eux, Jack Walters, le regard conquérant, une main posée sur le coeur. Étudiant en histoire et originaire d’Essex, au nord de l’Angleterre, Jack attend avec fébrilité la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. En vue du grand divorce, Jack et une cinquantaine d’étudiants et étudiantes Pro-Brexit se sont réuni(e)s afin d’échanger sur ses possibles débouchés : un Brexit «dur» ou «doux»? Avec ou sans accord? Pour ces jeunes conservateurs et conservatrices, une chose demeure certaine : le Royaume-Uni doit reprendre les rênes de son parlement.
Le 26 mai 1940, quelque 400 000 jeunes Britanniques se lançaient tête première sur les plages de Dunkerque, parés à repousser les troupes allemandes de la côte française. Près de 80 ans plus tard, la bataille demeure un point d’ancrage de la fierté nationale britannique, un symbole d’héroïsme pour les nouvelles générations de conservateurs et conservatrices. « Nous sommes un pays souverain, pourtant nos décisions économiques et politiques sont prises par Bruxelles. Nous devons défendre notre constitution », soutient Jack Walters.
Une fois de plus, le Royaume-Uni en appelle à ses jeunes troupes. Lors du référendum de 2016, 27 % des Britanniques âgé(e)s entre 18 et 24 ans ont voté en faveur du Brexit, selon la firme Lord Ashcroft. Trois ans plus tard, les victorieux et victorieuses du « Leave » polarisent toujours autant; les « Remain » les trouvent révoltant(e)s; Bruxelles se désespère de leurs caprices et les analystes politiques prennent plaisir à en disséquer les comportements. Partout, ils et elles sont taxé(e)s de chauvinisme, leurs visions du monde supposément déformées par le populisme et la peur de l’autre. Or, les sentiments de cette frange de jeunes conservateurs et conservatrices ne se prêtent pas du tout au récit dominant.
« Pour les jeunes, le Brexit n’est pas une question de contrôle des frontières ou d’immigration, comme elle peut l’être pour les plus vieilles générations. Ça n’a jamais été notre motivation », explique l’étudiant en histoire et Pro-Brexit, Jack Logan. Au contraire, certains et certaines espèrent même que la rupture européenne incite le gouvernement britannique à s’ouvrir sur le monde.
« Le Royaume-Uni devra reprendre sa place sur la scène internationale. Il se fera peut-être même de nouveaux alliés, notamment grâce aux échanges commerciaux », témoigne le conservateur et étudiant à la UCL, Ed Carter. Celui qui s’était d’abord campé dans le clan du « Remain », pour des raisons d’opportunités d’études et d’emplois, a finalement constaté qu’il bénéficierait davantage d’un Royaume-Uni intégré mondialement, plutôt que confiné aux frontières régionales européennes.
Selon un sondage de la firme Lord Ashcroft, 49% de ceux et celles qui ont voté pour le Brexit l’ont fait par « principe que les décisions à propos du Royaume-Uni devraient être prises par le Royaume-Uni ». Ainsi, bien devant le contrôle des frontières et de l’immigration (33%), le Brexit se veut d’abord une question de souveraineté et d’autonomie politique. « Exactement comme le mouvement indépendantiste du Québec des années 1980 », fait référence le magnat d’histoire Jack Walters.
Le spectre conservateur
Dans ce repère niché en plein coeur de Londres, l’atmosphère est à un conservatisme assumé. Sur mélodie d’hymne national, Jack Walters peut enfin laisser libre cours à ses convictions, sans la crainte d’être montré du doigt. « Beaucoup de jeunes ont peur de dire qu’ils sont Pro-Brexit, ou encore pire, qu’ils sont conservateurs, confie Jack. Le stigma envers nous est très fort et plusieurs se sentent même socialement exclus par la société. » Le jeune homme se remémore, par exemple, la fois où un étudiant lui a craché « Toxique! » au visage, simplement pour s’être arrêté au kiosque d’un club conservateur dans une foire d’activités parascolaires.
Conscient des préjugés qui le précèdent, même le président des Sociétés conservatrices des universités de Londres, Sam Sherwood, avoue ne pas mentionner son titre lors d’une première rencontre. « J’ai peur qu’en m’introduisant comme conservateur, la perception des autres sur ma personne et mes valeurs change », révèle-t-il.
Bien que ces jeunes affichent des positions radicalement plus libérales que leurs prédécesseurs et prédécesseures, préconisant, entre autres, l’intervention étatique dans les affaires sociales, le spectre conservateur leur colle à la peau. « Je pense que si la gauche s’ouvrait un peu plus à nous, elle pourrait nous respecter davantage et qui sait, peut-être même nous comprendre », présume Jack Walters, qui se décrit comme un conservateur sur le plan économique et un libéral sur le plan social.
Aux dernières élections générales de 2017, 22 % des Britanniques âgé(e)s entre 20 et 24 ans ont voté pour le parti conservateur. Par comparaison, le parti travailliste de gauche a récolté 63 % de leurs voix. Si le « Nasty Party », dans les termes mythiques de Theresa May, souffre toujours de son impopularité auprès de la jeunesse britannique, sa postérité est toutefois assurée. Tant qu’il y aura des jeunes conservateurs et conservatrices comme Jack Walters, comblé(e)s de fierté et seul(e)s contre le monde, sur les plages désertées de Dunkerque.
photo: JONATHAN MILLER WIKIPÉDIA CREATIVE COMMONS
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