Manam : souvenirs doux et douloureux

Sorti en librairie aujourd’hui, le premier roman de la journaliste Rima Elkouri, Manam, traite du génocide arménien de 1915 avec une sensibilité épatante et la plume la plus délicate qui soit.

Le récit est celui de Léa, une enseignante québécoise d’origine arménienne bouleversée par le décès de sa grand-mère centenaire. La femme d’une trentaine d’années est ainsi en quête des souvenirs que son aïeule préférait taire. Elle nous entraîne dans les rues sinueuses de la Turquie afin de découvrir les horreurs et les délices qui se sont jadis tenus en ces lieux.

L’auteure, qui est chroniqueuse à La Presse, a écrit ces quelque 200 pages en se basant sur des souvenirs familiaux, mais aussi sur la mémoire collective du peuple arménien. « Certains personnages du livre sont inspirés de gens de ma famille », explique Rima Elkouri lors d’une entrevue avec le Montréal Campus. L’histoire est « inspirée d’un voyage que j’ai moi-même fait [alors que j’étais] sur les traces du village que ma famille a dû quitter en 1915 », ajoute-t-elle. La couverture du livre arbore d’ailleurs une photo de l’ascendance de l’auteure, sur laquelle on peut voir son arrière-grand-mère avec sa fille et sa belle-fille, toutes survivantes du génocide. C’est cette photo qui a originellement incité la journaliste à écrire sur ce passé familial.

En plus des passages authentiques approchant d’une autofiction, le récit est narré à la première personne, créant un sentiment d’intimité avec la protagoniste. Il y a aussi quelques expressions arabes qui immergent davantage le lecteur dans la culture du pays où l’histoire se déroule. D’ailleurs, Rima Elkouri réussit d’une main de maître à faire vivre des émotions à ses lecteurs et lectrices, qu’il s’agisse de dégoût, de colère, de tristesse ou bien d’empathie. Des moments aussi bien révoltants que touchants tapissent l’entièreté de l’oeuvre et nous permettent de comprendre un peu mieux la réalité de certains immigrants. 

Nommer les souvenirs

Ce qui est le plus remarquable de ce premier roman est la manière dont le silence est raconté. Un mutisme qui a duré des décennies et qui perdure encore puisque la Turquie nie ses crimes. « C’est un sentiment étrange de mettre des mots sur le silence », explique Rima Elkouri, qui a pourtant réussi avec brio à exprimer ce qui ne se dit pas. Le génocide « était une question enfouie dans le silence. Les réfugiés pensent à l’avenir, à leurs enfants. Regarder en arrière, on ne perd pas de temps avec ça. On ne m’a jamais transmis cette mémoire-là jusqu’à ce je fasse mes recherches moi-même », souligne celle qui a passé cinq étés à travailler cette histoire.

La tâche la plus ardue pour l’auteure a d’ailleurs été de se dissocier de ses réflexes journalistiques. « Le cerveau de la journaliste et le cerveau de l’écrivaine, c’est deux cerveaux différents. […] Au lieu d’avoir tes antennes tournées vers l’extérieur, tu es plutôt tournée vers l’intérieur », précise la titulaire d’une maîtrise en littérature comparée de l’Université de Montréal. Sa plume journalistique transparaît toutefois à travers son roman par le biais de références très pointues qui proviennent d’entrevues avec des survivants et des survivantes réalisées lors d’un voyage au Moyen-Orient.

Manam, bien qu’étant une fiction, possède des thématiques semblables au premier livre de l’auteure sorti en 2014, le recueil Pas envie d’être arabe: chroniques et reportages, 2000-2014, dont le titre est plutôt éloquent. 

Malgré le sujet délicat, Rima Elkouri a écrit une oeuvre qu’il fait bon de lire grâce à la tendresse qui se trouve dans chacun des chapitres. Un premier roman qui marie douceur et souffrance habilement et dont on retient surtout l’espoir.

photos: WILLIAM D’AVIGNON MONTRÉAL CAMPUS



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