Des artistes choisissent de continuer de graffer même si le froid limite leurs possibilités, d’autres suivent les snowbirds, mais peu importe leur décision, ces passionné(e)s trouvent une façon de déjouer l’hiver québécois afin de continuer à pratiquer leur art.
L’hiver semble être une bête indomptable, même pour les artistes les plus courageux. La blanche saison n’empêche pourtant pas les graffeurs et graffeuses déterminé(e)s de sortir dans les rues de Montréal, armé(e)s de peinture à aérosol, de tuques et d’un attirail qui les fait ressembler davantage à des planchistes qu’à des artistes.
Même si les contrats pour effectuer des graffitis extérieurs sont pratiquement inexistants à cette période de l’année, les maîtres de cet art se portent rapidement à la défense de la saison froide, qui apporte de nombreux avantages à leur pratique artistique. « [Au début de ma carrière], je peignais beaucoup de graffitis illégaux durant l’hiver », admet Stare, un graffeur montréalais, dans le domaine depuis de nombreuses années.
Il explique que les gens ont tendance à éviter de sortir quand les températures sont glaciales, ce qui laisse le champ libre aux artistes qui agissent dans l’illégalité. « Parfois, la visibilité est moindre. Les gens qui conduisent sont concentrés sur ce qu’ils font, alors tu peux prendre un peu plus de temps que durant l’été, où tu es plus visible », poursuit Stare.
Les joies de l’hiver
Jouir davantage de temps ne laisse pas nécessairement la possibilité aux artistes de travailler des murales ou des masterpieces, la forme la plus aboutie et la plus complexe du graffiti. Ces formes sont plus difficiles à exécuter en hiver puisque l’adhérence et le rendu de la peinture ne sont pas à leur meilleur. « Au lieu de travailler cinq ou six couleurs, tu fais un truc chrome avec un contour noir et un background très, très, très de base », résume le jeune graffeur Eksept.
« L’hiver, c’est là que tu sors plus [souvent] », lance Apok, artiste graffeur et étudiant en arts visuels à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), d’un air enthousiaste en parlant de la saison à venir.
Bien qu’il produise des masterpieces comme ses confrères graffeurs Eksept et Stare, Apok est le seul des trois à toujours s’adonner, durant l’hiver, à la pratique du tag, une signature rapide d’une seule couleur, et du throw-up, un graffiti composé de grosses lettres rondes.
Il explique que la saison froide est propice à la pratique de ces deux formes de graffiti, qui s’exécutent plus rapidement que le masterpiece. Apok décide d’en créer surtout lorsque la température est plus clémente.
L’hiver, les graffitis ont la chance de bénéficier d’une plus longue durée de vie. « Les tags que tu fais ne sont pas effacés, parce que le produit que [les employés de la Ville] utilisent souvent l’hiver ne marche pas », mentionne Apok.
« Si tu veux profiter d’une visibilité plus longue, tu sais que ça va rester quelques mois [pendant l’hiver] », admet Stare. Cette volonté de laisser sa marque est fondamentale pour les graffeurs. L’objectif premier du graffiti est d’inscrire son nom dans la ville et de se l’approprier, explique pour sa part Apok.
Garder la main
Pour Eksept, la période glaciale permet plutôt de retrouver son cahier à dessin et ses crayons pour faire des croquis. « C’est un moment pour te ressourcer, pour faire plus de dessins et donc garder la main pour que, lorsque le beau temps revient, tu puisses faire un maximum de projets et rattraper le retard », explique Eksept.
Il prend également part à des « soirées sketch », organisées avec ses amis graffeurs. Celles-ci consistent en des réunions « d’amis qui se ramassent à boire de la bière avec des crayons, de la peinture, des crayons à alcool et [qui] essaient de produire chacun au moins une esquisse intéressante », raconte Eksept. Ses amis et lui s’imposent parfois un thème afin de sortir de leur zone de confort.
L’avion après la tempête
L’hiver a beau bercer l’inspiration de ces artistes, certains décident plutôt de suivre la chaleur et les snowbirds. La Floride est notamment un endroit prisé des graffeurs. « Chaque année, il y a le Art Basel, à la mi-décembre. C’est le plus gros festival de street art sur la planète, lance Stare. C’est un gros rassemblement de graffiti. Tout le monde peint partout pendant une semaine. »
Les deux graffeurs ne se limitent toutefois pas à la Floride pour répandre leur art autour du globe. Que ce soit en France, en Allemagne, au Pérou ou en Inde, ils s’ouvrent à de nouveaux horizons.
Pour graffer lors de festivals, obtenir des contrats ou créer de façon non officielle ou illégale, Stare et Eksept confient passer quelques mois de l’hiver à l’extérieur du Québec. « C’est quand même intéressant de poser ton nom à l’international. Ça te permet de connecter avec d’autres gens », partage Eksept, qui affirme être particulièrement stimulé par la collaboration avec d’autres artistes.
Malgré cette mouvance des artistes montréalais du graffiti, ces derniers reviennent presque toujours au bercail. Chaque année, lorsque les jours de canicule reviennent à Montréal, cette frénésie générale pour le graffiti refait surface à son tour, tapissant les murs de la ville de mille et une couleurs, comme si l’hiver ne s’était jamais abattu sur la métropole.
photo: SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS
Laisser un commentaire